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Encre Nocturne   

Un ultimo desiderio - Partie 1

Hartsock | Publié le mar 14 Aoû 2018 - 16:52 | 708 Vues

Le peintre, le cœur encore couvé par la peine, effleurait la boite du bout des doigts. Le bois dont elle était faite reflétait parfaitement l'esprit du génie qui en avait été le propriétaire ainsi que sa vie tumultueuse. Usé, mais également aussi doux que ses paroles, le bois attendait patiemment son heure. Sur le dos du petit coffre était inscrit en langue toscane :

La clé qui mènera à mes secrets est détenue par les mains ignorantes de mon fils prodige. En son humble encéphale, réside la connaissance.

Pendant que l'artiste réfléchissait au sens de ces mots, l'un des valets du Roi au grand nez toqua à la porte.

« Sa majesté réclame votre présence au palais, messire. »

Sans s'offusquer du manque de titre et de forme, il le suivit calmement. Le château était à quelques centaines de mètres du Clos Lucé, résidence du peintre depuis plusieurs années.

Les deux hommes sortirent de l'atelier d'un pas lent et se dirigèrent vers la voiture qui allait les mener au palais royal. Une fois arrivés à l'intérieur du château, après avoir traversé le sentier de gravier blanc que l'artiste connaissait par cœur, ils arpentèrent de longs couloirs jusqu'à arriver devant une immense porte. Le peintre en deuil affichait un visage plutôt pâle, ne mettant pas en valeur sa chevelure blonde et ses yeux d'un bleu électrique. Le blondinet était venu ici plus d'une fois avec son mentor. Les lourds battants en bois sombre étaient ornés des armoiries du Royaume. Le soleil de midi illuminait les ailes des anges finement gravés et dorés. La majesté des portes n'en cachait qu'une autre : la magnificence de la salle du trône. Le serviteur du souverain ouvrit la porte qui les séparait du Monarque et laissa passer l'élève endeuillé en s'inclinant respectueusement, puis il referma derrière lui. La massive porte de bois claqua à sa fermeture. L'invité regarda les décorations du coin de l'œil, constatant qu'autour de lui les tenderies étaient semblables à celles de sa première découverte de la salle. Les murs de pierre étaient toujours aussi somptueux, la lumière qui émanait de l'extérieur rendait les tables de bois reluisantes. Celles-ci avaient été construites par son maître quelques mois auparavant. Taillées dans un bois importé d'Italie, leurs formes conduisaient le regard sur le Roi. Le souverain aimait beaucoup recevoir dans cette pièce majestueuse pour profiter de ce bois d'olivier et de la délicate fragrance qu'il dégageait. Sa voix forte l'interpella :

« Messire, approchez »

« Je suis si content de vous revoir, mon cher ami.

— Le plaisir est partagé, Majesté. Cependant, j'aurais aimé que notre rencontre se fasse dans un contexte moins funeste. J'aurais été plus à même de l'apprécier et de vous témoigner tout mon respect.

— Je comprends cela. Hélas, la vie est parfois faite d'injustices, rétorqua le souverain d'une voix sincère.

— Sachez, Majesté, que je suis fort peiné que mon maître n'ait pas pu terminer la cité dont vous rêviez. Nous vous l'avions promise et n'avons pas tenu parole. Ma tristesse présente m'empêche de travailler sur un quelconque projet mais je vous fais la promesse de vous rendre les plans dans les plus brefs délais, articula le peintre d'une voix pleine de chagrin.

— Il est inutile de me présenter vos excuses pour de simples biens matériels, d'autant plus que ceux-ci ne sont point indispensables à satisfaire mon ego. Votre mentor m'a fait don d'une chose plus brillante encore que toutes ses inventions : son amitié. Je ne peux penser à lui qu'en ayant de merveilleux souvenirs, et pour cela, je lui en suis infiniment reconnaissant.

— Je ne saurai vous remercier de tant de bonté, Majesté, balbutia le blondinet.

— Je n'ai nullement besoin de remerciement, rétorqua François Ier. Mais si je vous ai fait venir c'est également pour vous assurer que vous pourrez loger ici autant qu'il vous plaira.

— Encore une fois mille mercis, mon Roi ! Si vous nécessitez une quelconque assistance dans des domaines à ma portée, n'hésitez pas à faire appel à mes services.

— Je vous prends au mot, mon ami. Allez, vous pouvez disposer.

Le disciple du grand inventeur, toujours aussi étonné de la générosité du Roi après tant d'années, s'enquit de retourner à son atelier.


Une fois de retour dans son logement, l'artiste prit un moment pour réfléchir. Les mots écrits par son maître sur cette fameuse boite tournaient en boucle dans son esprit.

Mon fils prodige.

Il ne pouvait y avoir qu'une seule personne que son mentor nommait ainsi : Salai ! Son élève chéri qui l'avait accompagné dans tant de ses aventures et recherches. Ni une ni deux, le blondinet prépara ses bagages, laissant toiles et peintures derrière lui, et s'en alla rendre visite à son ami. Le chemin jusqu'à Milan serait certainement long et seulement comblé par la solitude, l'esprit de l'élève perturbé par la frustration et la peine. Mais s'il y avait ne serait-ce qu'un seul moyen d'ouvrir ce coffre auquel il tenait tant, il devait essayer. Et si pour cela il devait remuer ciel et Terre il le ferait. Mais pour l'instant sa quête commençait par Salai, son ami d'enfance.

Le lendemain, l'artiste était en voiture. Le martèlement des sabots ne pouvant couvrir celui de ses pensées, seul le conducteur aurait pu être dérangé par leur cavalcade sur le sentier de pierres, s'il n'y avait pas été habitué. Le disciple était quant-à-lui imperturbable, sa soif de découverte et de vérité était insatiable, tout comme l'avait été celle de son défunt ami.

Le rythme des pas de chevaux aidant, les pensées du maître des couleurs se portèrent vers son vieil ami, et les souvenirs ressurgirent.

~

~ ~

Salai, déjà jeune arborait ce sourire malicieux. Il y avait cette fois à Florence où il insista tant pour que son ami chaparde quelques denrées dans le verger du Clergé.

« Eh, je te défie d'aller prendre les pommes du verger, murmura le plus grand alors qu'il longeait le mur d'enceinte du domaine religieux.

— Mais ce sont celles de l’Église ! s'indigna le jeune élève.

— Et alors ?

— Ce serait du vol !

— Mais non, on ne vole rien ! C'est juste un emprunt. Puis je pense qu'on en a plus besoin que les sœurs.

— Salai, c'est interdit !

— Ce qui est interdit c'est de m'appeler ainsi ! , grogna l’aîné.

— Gian... Je ne peux pas faire ça, il le regardait les yeux humides, ses mèches blondes cachant une partie de son visage encore enfantin.

— Tu as peur ?

— Non, c'est juste que..., bredouilla le plus jeune.

— Regarde-moi faire et prends en de la graine, bambino.

Salai gonfla la poitrine et commença à se diriger vers la clôture du verger quand leur maître arriva, les bras chargés d'outils de mesure.

— Aidez-moi donc à ramener tout cet attirail à l'atelier.

Il prit quelques secondes pour observer les deux garçons. Apercevant le regard plein d'indignation du plus jeune, il dévisagea le plus grand.

— T'apprêtais-tu à voler la Sainte Église, Salai ?

— Bien-sûr que non. Et cessez de me nommer ainsi, je vous en prie !, lâcha-t-il d'un ton révolté que l'adulte connaissait bien.

Face à la langue de bois de Salai, l'adolescent décida de réagir.

— Bien-sûr que si ! Il allait voler les pommes du verger, explosa-t-il, les joues rouges de colère.

— Allons, calme-toi. Je sais bien que tu trouves cela injuste mais notre ami est un peu dissipé. Il finira par rentrer dans le droit chemin.

— Pas besoin de passer par la porte quand la fenêtre est ouverte, ricana Salai.

L'inventeur soupira, réprimant un sourire amusé.

— Aaaah... Apprends à ton fils à travailler ou tu lui enseigneras à voler. Ne t'en fais pas. Je vais te trouver une occupation, petit diable. »

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