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Encre Nocturne   

Un ultimo desiderio - Partie 2

Hartsock | Publié le mer 15 Aoû 2018 - 20:02 | 662 Vues


Le trajet fut étonnamment court pour le peintre, perdu dans ses pensées d'un temps où tout paraissait plus simple aux côtés de son ami et de son mentor.

Il revint au moment présent quand le conducteur fit ralentir la voiture. Il ouvrit la portière et aperçut soudain la beauté de la capitale lombarde dans un rayon de soleil méridional. Les remparts étaient aussi imposants que dans ses souvenirs, projetant leur ombre sur les maisons les plus proches. Il se dirigea vers la place principale. Il fut rapidement happé par la foule qui se dirigeait également là-bas, vers le territoire de toutes les rencontres : le marché. En déambulant dans les rues il put admirer l'uniformité des maisons, de leur façade jusqu'aux toits de tuiles rougeâtres, toutes semblables. Les dalles sur le sol étaient en harmonie avec chaque porte de bois et chaque mur de pierres, le tout taillé dans la même roche. L'arrivée sur le marché permit au peintre d'admirer le ballet des habitants. Milan respirait la joie de vivre. Son nez fut aussi attiré par l'odeur enivrante du safran. Les meilleurs cuisiniers de la cité préparaient le meilleur risotto de la cité, un régal sur le feu comme dans les assiettes. Tout cela éveilla grandement son appétit. Puis il regarda plus haut et vit la magnifique cathédrale resplendissante. Le soleil se reflétant à travers les vitraux multicolores. Sa hauteur considérable laissait penser qu'elle atteignait la sagesse de Dieu. Partout où ses yeux se posaient, l'artiste ne pouvait voir que des signes de vie, ces mêmes signes qu'il n'avait plus envie de faire depuis la mort de son ami. Les nombreuses lettres qu'il avait échangées avec Salai lui permettaient de savoir précisément où son celui-ci vivait. Après être passé par une série de ruelles il trouva le lieu qu'il cherchait: la maison de Gian Giacomo Caprotti, dit "Salai".

Chaque parcelle du jardin correspondait à la description que son ami d’enfance lui avait faite dans leur échange épistolaire. L’arbre qui abritait tendrement le terrain de ses feuilles délicates imposait son éloquente sagesse sur l’urbanisme de la cité. Au bout de ses fines branches, germaient de petites pommelles jaune pâle parmi les fleurs blanches.

Tout en faisant bien attention à ne pas écraser les jolies fleurs sur le bord du chemin menant à l'entrée, le peintre se rendit jusqu'au seuil de la porte. Il prit une grande inspiration et donna trois coups sur le bois. Le disciple entendit alors le bruit de pas pressés puis un cliquetis de clés. Dans un grincement rouillé, la porte d'entrée s'ouvrit. Dévoilant ainsi le petit diable de toujours : Salaï. Pendant un instant, les deux hommes se jaugèrent du regard. Salaï, depuis tant d'années, avait mûri. Ses yeux perçants avaient perdu de leur éclat et les rides commençaient à parfaire le coin de ses lèvres, magnifiant son visage androgyne. Sa chevelure vénitienne avait gardé la même longueur, effleurant ses frêles épaules. Le blondinet quant-à-lui, ne cachait pas son chagrin. Dehors, le soleil rayonnait. À l'intérieur de lui, la pluie le foulait du pied.

Son frère adoptif se jeta sur lui et le serra dans ses bras avec force. L'artiste sentit sa main lui frictionner doucement le dos. Posant sa tête sur l'épaule de son ami, le blondinet se laissa aller à partager sa peine quelques secondes. Puis, Salai se recula pour l'admirer :

« Tu as mauvaise mine, s'inquiéta-t-il.

— Je ne dors pas très bien.

— Entre donc, que nous puissions discuter à notre aise, lui proposa le diablotin.

Ils entrèrent en silence, le salon était morne mais quelque chose fit tout de même sourire le peintre.

— Tu as gardé son chevalet.

— Évidemment que je l'ai gardé ! Je sais que je suis plutôt du genre à vendre au plus offrant, mais jamais je ne m'en séparerai. Même pas pour tout l'or du monde, scanda-t-il.

— Je suis heureux que tu en prennes soin.

— Tu sais, il ne voudrait pas te voir dans cet état.

— Quel état ?

— Le tien, idiot ! Tu es tout abattu. Je suis sûr que tu as perdu du poids. Viens t'asseoir et buvons un verre, fît le plus âgé en sortant une bouteille de limoncello d'un placard.

— Va bene, concéda le plus jeune.

— Mon ami, je suis surpris de te voir ici. Qu'est-ce qui t'amène chez les lombards ?

Le disciple du grand inventeur fit part de sa situation à Salaï, lui racontant tout, de la mort de leur protecteur à la découverte du coffret dans l'atelier. Ce dernier l'autorisa à chercher un indice supplémentaire ou la solution parmi les objets dont il avait hérité.

Le fils prodige avait reçu plusieurs cadres et exemplaires de tableaux vendus au Roi de France qui avaient été disséminés dans toute la maison. Mais ce qui attira l'attention de l'artiste ce fut un petit moule de statue en forme de crâne placé dans un coin. C'est alors qu'il se souvint de la seconde partie de l'énigme: en son humble encéphale, réside la connaissance.

Il prit soudain le moule dans ses deux mains et le projeta sur le sol.

Surpris de tant de violence, son frère accourut vers lui. En arrivant au niveau de la statue brisée il vit la même chose que son ami d'enfance: une petite clé d'argent.

— Je crois que tu as trouvé ce que tu cherchais, conclut l’aîné.

— Je dois partir.

— Si tôt ? Je le vois sur ton visage, tu as besoin de repos. Reste au moins manger. »

À ces mots, il comprit l'inquiétude de son camarade. Il resta finalement pour dîner, retrouvant avec délice des saveurs d'enfance. Les deux hommes bavardèrent sur leur adolescence autour d'un café jusqu'à se laisser envahir par la fatigue et sombrer sur le canapé, collés l'un à l'autre, retrouvant ainsi cette complicité qu'ils avaient autrefois. Le peintre reprit la route le lendemain avant que les premiers rayons du soleil ne commencent à réchauffer l'atmosphère. Salaï lui adressa un regard plein de bienveillance :

« Bonne chance, Francesco. »

Puis il observa la voiture disparaître dans l'ombre de la nuit, emportant cette résurgence du passé qu'était son presque frère.


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