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Encre Nocturne   

Rage [-12]

Tifani | Publié le jeu 23 Aoû 2018 - 15:30 | 543 Vues

Ce rêve est classifié [-12] pour les raisons suivantes : évocation de violence et de sang. Si vous n'êtes pas à l'aise avec ces thèmes, je vous déconseille la lecture de ce qui suit. Si vous êtes malgré tout curieux, n'hésitez pas à me MP pour un résumé moins sombre.

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Je vivais dans un orphelinat, un immense bâtiment assez ancien où nos seuls parents étaient les membres du personnel qui nous suivaient depuis notre enfance. J'avais toujours été une enfant un peu solitaire, assez silencieuse et docile, et même maintenant que j'avais atteint l'adolescence, cette réputation me précédait. J'avais pris l'habitude de manger avec les surveillants et le personnel dans le réfectoire, au lieu de mes camarades, et je leur adressais rarement la parole. Je parlais toujours aussi peu, même si je tentais parfois de participer aux conversations politiques et régionales des adultes, avec le peu de maturité et d'assurance que j'avais.

Une vie bien ordinaire, pour des enfants bien extraordinaires. Chacun d'entre nous, dans cet univers, était doté de pouvoirs, appelées "aptitudes", bien à lui, et une grande partie d'entre nous étaient partiellement animaux, dotés d'oreilles, de queues, ou d'autres petits attributs qui rappelaient nos origines. Mais pour ma part, je n'étais qu'une enfant banale, dont les aptitudes restaient hypothétiques.

Peut être est-ce pour ça que quand ils ont attaqué, ils m'ont ignorée. Des dizaines d'adultes, drapés dans des capes et masqués, attaquant à plusieurs nos adultes, et kidnappant les enfants. Profitant de la confusion, j'ai observé la scène de ma cachette, et c'est avec horreur que j'ai vu le sang des adultes couler, et les corps inanimés des quelques uns qui s'étaient défendus être traînés sans ménagement. Puis l'horreur s'est muée en quelque chose d'autre. Une rage, une énergie immense, bouillonnant en moi comme prête à jaillir et tout détruire. Je pouvais sentir cette masse dans mon abdomen, tourbillonner sans fin, mais à cet instant, j'ai fait un choix. Je l'ai réfrénée. Et lentement, je suis sortie de ma cachette, et je les ai suivis.

Ils ne m'ont remarquée qu'une fois arrivés à leur campement de fortune, dans la forêt voisine. J'ai regardé lentement leur fausse gentillesse alors qu'ils tentaient de m'approcher pour me capturer. J'ai regardé les adultes et enfants, qui reprenaient conscience et me regardaient avec effroi. J'ai regardé leurs machineries effrayantes, les tuyaux qui rampaient au sol, les lames et les seringues. Puis je l'ai fait. J'ai laissée enfler la rage, serré mes dents et mes poings, puis hurlé. L'énergie s'est répandue dans chacun de mes muscles, comme de l'électricité faisant vibrer mon sang. Puis sans leur laisser le temps de comprendre, je me suis jetée sur eux.

J'étais bien plus petite qu'eux, mais pour chaque coups qu'ils pouvaient me donner, je leur en donnais une dizaine. Je les martelais jusqu'à les faire tomber au sol, agrippant leur cou de mes deux bras pour les jeter sans ménagement derrière moi, les frappant au cou, au ventre pour les faire suffoquer, aux genoux pour les faire ployer, aux bras pour les désarmer. J'étais impitoyable, et ils tombaient les uns après les autres. Les tuyaux subirent le même résultat, et prise dans ma folie, je me pris même à mordre à pleine dent le caoutchouc pour les éventrer. Profitant de ma diversion, les adultes avaient réussi à rompre leurs liens et s'assuraient d'évacuer les enfants et les blessés.

Peut être que c'est parce que je me suis rendu compte qu'ils avaient disparu que la rage est retombée. Ou peut être que j'étais juste trop fatiguée. Mais tout à coup, j'ai senti la tête me tourner, et les coups des quelques ennemis encore debout me faire vaciller. Rassemblant les quelques forces qui me restaient et les concentrant dans mes jambes, j'ai fait la seule chose qui me restait à faire: fuir. Après toute la destruction et les blessures que j'avais causées, les adultes n'étaient que trop contents de me voir partir, et au bout de quelques mètres, je compris qu'ils ne me poursuivraient pas. Quand j'ai hésité, ils m'ont même lancé des débris du carnage pour s'assurer que je ne revienne pas les attaquer. J'ai couru à travers les champs, perdue dans cette campagne que je ne connaissais pas, puis j'ai marché un long moment le long de la route, ignorant mes jambes qui tremblaient et ma vue un peu trouble. Je n'ai aucun souvenir de ce qui a pu se passer ensuite, mais il est probable que la fatigue ait eu raison de moi, et que je me sois effondrée sur le bas-côté de la route.

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Le rêve a repris quelques jours plus tard, avec de nouveaux souvenirs. Je me souvenais m'être réveillée à l'hôpital, et y avoir passé une série d'examens avant d'en sortir par manque de lits, et puisqu'au final je m'en sortais avec juste beaucoup de fatigue et la voix brisée par mes cris. Ils savaient ce que j'avais fait. La plupart de mes camarades étaient dans ce même hôpital, et leurs récits en avaient fait le tour. Seuls quelques uns des adultes les plus robustes étaient déjà sortis, et cherchaient activement une solution pour nous loger le temps que tout le monde sorte de l'hôpital. Mais après ce qui s'était passé... Je ne voulais pas les revoir.

J'avais cette fichue migraine qui me venait dès que j'essayais de me souvenir de ce qui s'était passé exactement. Et plus que tout, je ne voulais pas leur parler ou les revoir. Ma mémoire des détails me soulignait chacune de leurs cicatrices ou de leurs hématomes, et à chaque fois que je les voyais, mon coeur se brisait un peu plus. Ce qui s'était passé... rien ne serait plus jamais comme avant. Nos vies à tous avaient été détruites. Certains ne marcheraient plus jamais. Et je vivrais toujours avec la peur de cette rage qui sommeillait en moi, et pouvait tout détruire à n'importe quel moment.

J'ai erré dans les rues pendant plusieurs semaines, fuyant les adultes qui essayaient de me convaincre de rejoindre leurs abris de fortunes. Mais je me sentais plus à l'aise dans la rue, désormais. J'y avais pris mes habitudes, on se réunissait avec quelques sans-abris pour manger et dormir ensemble le soir, et le reste du temps... Je marchais inlassablement pour tenter d'apaiser la rage qui de temps en temps se réanimait en moi. Et qui petit à petit, a fini par s'éteindre de nouveau. Mais j'ai continué à marcher, par habitude, et parce que j'aimais ces longues promenades dans les rues de ma nouvelle maison.

C'est comme ça qu'un jour j'ai remarqué un grand rassemblement dans un parc. Des petits groupes de jeunes, joyeux et ouverts, rassemblés autour d'une scène où les uns et les autres montaient à tour de rôle, poussés ou non par leurs amis, pour déclamer des poèmes politiques assassins, pour chanter des douces chansons d'amour, faire des blagues de qualité très variable, ou raconter des récits tantôt comiques, tantôt effrayants.

Remarquant ma curiosité, un groupe à l'arrière du rassemblement vint me chercher et m'inviter à rejoindre la foule. Impressionnée par leur charisme et leur confiance, plus le fait que je n'avais toujours que peu d'expérience sociale, je les laissai m'emporter, et je me retrouvai au milieu d'inconnus, à apprécier plus ou moins le spectacle.

Puis le rassemblement prit un tour auquel je ne m'attendais pas du tout. Et pour cause, je m'attendais à tout, sauf à ce qu'un parfait inconnu me reconnaisse, et que la foule toute entière se retourne vers moi, et que certains sautent même pour essayer de me voir à travers la masse. De toute évidence, mon histoire n'avait pas fait que le tour de l'hôpital. La foule se partagea très vite en deux camps: ceux qui cherchaient à ce que je monte du scène pour raconter l'histoire, que ce soit en m'encourageant ou en me provoquant, et ceux qui en voyant mon hésitation prenaient ma défense en clamant que je raconterais mon histoire si je le souhaitais, et que personne ne devrait être forcé à le faire, surtout après un tel traumatisme.

Agacée par leurs cris et fatiguée, je finis par fendre la foule et monter péniblement sur la scène. Le silence se fit assez rapidement, et je regardai un instant la foule parcourue par des murmures. Je n'avais aucune idée de comment commencer une histoire, encore moins la mienne. Alors j'ai fait ce que je faisais le mieux. Essayer.

"Vous avez sûrement déjà entendu parler de moi. Mais sinon, vous avez sûrement tous entendu parler de l'orphelinat qui a été détruit à l'autre bout de la région. Ils en ont parlé pendant des semaines dans les journaux, et j'imagine qu'à la télé aussi. Tout le monde a réchappé de justesse de l'attaque. Et je suis celle qui les a sauvés."

Je marquai un silence, laissant peser ma phrase en parcourant l'audience du regard. Visiblement, le récit était plus que convaincant malgré ma voix cassée, et tous étaient suspendus à mes lèvres. Je repris, luttant contre la colère que je sentais naître de nouveau dans mon ventre en évoquant ce sujet.

"Je vous passe les détails de comment je les ai libérés. Ca n'a aucune importance. Ce qui est important, c'est qu'ils sont toujours à l'hôpital aujourd'hui. Certains n'en sortiront pas avant des mois. Et qui sait si je n'avais pas été là...? Cette histoire vous fait sourire, mais elle ne devrait pas!"

Ma voix se brisa un peu, encore faible, et je parcourus de nouveau la foule du regard. Les visages étaient pour certains désolés, pour d'autres un peu honteux d'avoir pris cette histoire à la légère, mais tous me regardaient fixement, attentifs. J'inspirai profondément, pour calmer la rage qui était remontée jusqu'à ma poitrine, et je me raclai la gorge pour récupérer suffisamment de voix pour continuer.

"Ce n'est pas leur première attaque, et ce n'est sûrement pas la dernière. Lorsqu'ils frapperont à nouveau, ils seront mieux préparés, mieux armés, et plus nombreux. Ils ne nous laisseront aucune chance. Et qui sera leur prochaine cible? Combien de temps il leur faudra pour s'en prendre à cette ville?"

Je marquai une nouvelle pause, le peu de voix me restant presque épuisé. Il ne me restait que quelques mots pour finir ce que j'avais à dire. Je voulais pouvoir dire tellement plus, mais pour cette fois je devais être brève, et convaincante. Puis alors que j'avais finalement trouvé une idée pour finir, je relevai les yeux vers eux, la tête toujours un peu penchée en avant.

"Lorsqu'ils reviendront, je serai prête. Et vous?"

Je les fixai sur ces derniers mots, à bout de forces mais le regard aussi déterminé et dur que je le pouvais. Les murmures dans la foule grandirent jusqu'à devenir une clameur de "Moi aussi!" et de cris divers et variés.

Sans attendre la fin des applaudissements et autres félicitations, je me laissai tomber de l'estrade puis je glissai à travers la foule pour m'en éloigner, épuisée. Mais voyant que je titubais et que j'étais de manière assez évidente sans abri pour le moment, le petit groupe qui m'avait invitée m'arrêta, et me proposa de passer chez eux quelques temps, pour au moins manger quelque chose et me reposer un peu. Ce fut surtout la possibilité de prendre une bonne douche qui finit par me convaincre, et je les suivis jusqu'à leur vieil appartement partagé.

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Le rêve se termine là, et j'ai à peine eu le temps de visiter leur étage avant de me réveiller. Pas de douche pour cette fois. 

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