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Encre Nocturne   

Un ultimo desiderio - Partie 3

Hartsock | Publié le jeu 23 Aoû 2018 - 15:28 | 1613 Vues


Une fois de retour au Clos Lucé, Francesco ne perdit pas une seconde. Il déposa ses bagages sur le carrelage frais de l'entrée et se précipita dans l'atelier pour enfin retrouver la boite là où il l'avait laissée. Il la prit dans ses mains tremblantes d'impatience. Soudain la nostalgie s'empara de son cœur. Il repensa à tous les moments passés en compagnie de son mentor. La plupart des œuvres qu'il avait faites étaient précieusement emballées, ses outils aussi avaient trouvé leur place dans de lourdes boites. Son carnet de commandes était encore ouvert, certains de ses projets ne verraient jamais le jour. Le silence régnait dans l'atelier. Francesco voyait encore son bon maître en train de peindre, écrire et faire de multiples expériences pour chaque jour en apprendre davantage sur la vie. Sa curiosité et sa soif de savoir étaient ce que son disciple admirait le plus chez lui. Aujourd'hui, dans cette pièce vide, il détestait par-dessus tout son silence. L'absence des légers chuintements des appareils et le délicat griffonnement de la plume sur le papier avaient laissé place à la froideur d'une pièce vide et prête au départ. La solitude tenait l'existence de l'élève d'une main de fer. Le décès de son ami n'avait pas seulement plongé son atelier dans le néant, il l'avait privé de celui qui accompagnait son cœur depuis des années.


Le maître des couleurs sortit la petite clé argentée de sa poche, l'air déterminé mais pourtant vaincu. Il déploya l'objet au ralenti, sa main tremblante n'aidant en rien. La clé rentra dans la fine fente du coffret pour venir exécuter sa lente rotation. Avec précaution, ne sachant pas à quoi s'attendre, il la tourna. Les rouages du la serrure se firent entendre, manifestant ainsi l'âge de la boite. Dans un bruit de métal rouillé, les ressorts se débloquèrent. Francesco ressentit une petite vibration puis entendit le claquement métallique de la clé dans la butée.


A l'intérieur du coffre de bois, était lové un parchemin jauni par le temps. L'artiste, d'un air sombre, récupéra le papier. Les mots étaient griffonnés en écriture spéculaire. Son maître avait toujours voulu obtenir une de ces plumes en verre vénitiennes qui ne font aucune tâche, mais Francesco voyait bien les ratures, son mentor n'avait jamais pu réaliser son vœu, l'encre avait donc été étalée sur le papier avec une simple plume d'oie.


L'écriture spéculaire nécessitait un miroir pour être lue. Frénétiquement, le blondinet partit donc en quête de cet outil dans la pièce. Parcourant l'atelier en slalomant entre les structures en bois de l'inventeur rendues fantomatiques par un drap blanc pour la plupart, il se retrouva devant un empilement de caisses prêtes au départ. Il vida les caisses sans aucune peine jusqu'à ce qu'il tombe nez à nez avec un stock de pinceaux ayant été mis de côté par son maître lors d'une période où la peinture l'agaçait. L'image du grand homme en train de manipuler ces pinceaux et de lui apprendre à jongler avec les couleurs refit surface dans l'esprit de Francesco. Son cœur si faible avait toutes les peines à ne pas exploser face à ce simple souvenir. Finalement il trouva le miroir poussiéreux en dessous du bureau de son mentor, dissimulé sous une nappe ternie par la poussière. Le peintre l'empoigna et retourna devant l'établi sur lequel la boite avait été déposée. Le tenant de sa main vacillante, Francesco lut la lettre, la voix de son défunt ami résonnant dans sa tête:

Ces mots sont adressés au seul et unique Giovanni Francesco Melzi. Mon grand, si tu as découvert ceci c'est que je suis probablement décédé, ou que tu as pris l'habitude de fouiner dans mes affaires comme Salaï le faisait autrefois ; je doute de cette dernière option. Je sais bien que ce n'est pas ta manière d'être, voilà pourquoi tu as toujours été mon apprenti (et Homme) favori. J'espère que tu n'auras pas mis trop longtemps à résoudre cette énigme épineuse. Pardonne-moi pour ce petit jeu, mais tu connais comme moi la nature maléfique du genre humain. Dans mes longues années, tu te souviens peut-être que je t'avais parlé du « Trattato Della Pittura » que je voulais développer pour, plus tard, le publier. Hélas, mon existence avait une temporalité définie, comme celle de tout être vivant. Mais j'ai toujours pensé qu'on pouvait enseigner de son vivant comme dans la postérité. Ainsi je te présente ma dernière volonté : reconstituer et mettre en forme ce traité. Tu sauras en trouver tous les éléments. Je ne te demande pas de le faire publier, le monde n'est pas prêt. De plus, le despotisme clérical ne reconnaît pas la beauté de l'anatomie humaine, alors tous mes tableaux un tant soit peu déplacés seraient rapidement brûlés. La plupart des feuilles de notes dont tu auras besoin sont dans la villa de Vaprio d'Adda, chez toi. Tu l'auras donc deviné : j'ai caché les autres pages de notes essentielles, concernant la peinture. Pour trouver la première partie il te faudra agir en contradiction avec les Textes. Aborder les recoins les plus diaboliques de ta personnalité. Explorer toutes les fibres de ton être. La réponse est en ton noble coeur.

Prends soin de notre bon Roi François, et de toi.

Avec toute ma tendresse et mon amitié,

Leonardo Da Vinci


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