Navigation


 Ecrits publiés


 Retour au forum

Encre Nocturne   

Un ultimo desiderio - Fin

Hartsock | Publié le dim 2 Sep 2018 - 22:37 | 888 Vues

Francesco déposa lentement le parchemin sur l'établi. Il laissa le miroir s'échouer sur le sol et se briser en plusieurs morceaux sur le carrelage du Clos Lucé. Les larmes vinrent aussi s'échouer sur les joues rougies de l'élève chagriné par cette solitude insoutenable. L'homme s’effondra. Tandis que ses yeux étaient bordés de larmes, ses pensées étaient quant à elles heurtées par les lames de son passé. La souffrance de la perte déchirait son faible cœur. Ce fut seulement au coucher du soleil que le peintre en deuil émergea de sa douleur et de cette épreuve bouleversante. Après avoir grignoté quelques fruits pour calmer les clameurs de son estomac et s'être convenablement abreuvé d'un verre de vin, il décida de jeter un œil de plus près à la lettre de Leonardo et de prendre le temps de la lire objectivement. Sur le dos de celle-ci était grossièrement dessiné son propre portrait d'un moment où il peignait dans une joie innocente. Francesco, en voyant cela, arbora un sourire mélancolique.


Une fois qu'il eut approfondi l'examen du papier, motivé, il décida de résoudre cette énigme.

Les mots de Leonardo étaient laconiques, il devait agir en contradiction avec les Textes.


Une idée vint soudain caresser son esprit nostalgique : analyser ce qui, dans les peintures religieuses de son mentor, n'était pas religieux. Cependant, avant de pouvoir agir comme il l'entendait, Francesco devait dormir. Il ne pourrait pas rendre visite au Roi en pleine nuit. Il attendit donc patiemment le lendemain matin, dormant tant bien que mal quelques heures.

Dès les premières lueurs du jour, le peintre, déterminé, se précipita chez François Ier pour lui demander la permission de voir ses peintures. Le Monarque, bien qu'encore fatigué et venant de sortir de ses rêves, le reçut immédiatement. Dans sa grande mansuétude, il accepta sans hésiter. Puis dans un tournoiement de veste, Francesco fila vers la salle que lui avait indiquée le souverain. Leonardo lui avait vendu deux tableaux ; La Cène et la Joconde, installées dans une belle pièce, bien éclairée par le soleil matinal.



L'artiste observa attentivement la première œuvre de l'inventeur, espérant y trouver un quelconque indice. Il observa encore longtemps, très longtemps. Après plusieurs heures d'inspection, d'analyse et de réflexion, il fut forcé de conclure qu'il n'y avait rien sur cette peinture. Le blondinet se dirigea alors vers la belle Joconde, dans laquelle il eut l'impression d'apercevoir le visage de Salai. Troublé par cette vision, il ne trouva rien de pertinent non plus.



Une fois qu'il se rendit compte de l'inutilité de sa visite, il prit les chemins détournés pour retourner vers son atelier. Arrivé là-bas en fin d'après-midi il se mit à réfléchir. Si aucun signe blasphématoire n'était visible sur les tableaux religieux, qu'en était-il des œuvres inachevées ? Le peintre décida donc de fouiller dans toute la demeure pour trouver le moindre indice. Là encore, une amère déception l'attendait. Après toute cette journée de recherches infructueuses, les nerfs à vif, Francesco craquait. Abattu, il se demandait s'il aurait le courage de fouiller également les appartements privés de Leonardo.


Son cœur seulement alimenté par la colère et le chagrin, Francesco choisit finalement de se ruer sur la chambre de l'inventeur. La vue de ses effets personnels le démoralisa tellement qu'il ne put contrôler ses émotions. Dans un flot de colère et de frustration, il jeta le chevalet, renversa le bureau et sa chaise, tâcha le sol de l'encre qu'il avait renversée de l'écritoire, brisa un pinceau en deux, arracha les tentures du baldaquin, et déchira une toile vierge d'un violent coup de poing. Épuisé par la douleur du deuil, il s'effondra finalement sur le lit de Leonardo.



Aux aurores, le soleil montra le bout de son nez pour, petit à petit, venir caresser la chevelure blonde de Francesco et chatouiller sa nuque endolorie. La chaleur relaxante de l'étoile réconforta l'homme dont le cœur était en souffrance. L'artiste mit quelques instants à sortir du pays des rêves. La nuit dernière ayant été éprouvante, il se releva doucement afin de ne pas trop précipiter son corps encore sonné. Une fois sur ses deux pieds, le malheureux se rendit compte du carnage qu'il avait fait. Son esprit, soudain empli de remords, Francesco rangea instinctivement les quelques objets restés indemnes de son affrontement avec la solitude dans laquelle il baignait désormais. En ramassant les vêtements, pour la plupart déchirés, il en trouva un dont il avait souvenir. Cette tenue appartenait autrefois à Leonardo, elle était identique à celle que Francesco portait ce jour-là. En l'examinant plus avant, il découvrit que celle-ci, distinctement de la sienne, contenait une doublure. Cela intrigua sérieusement le peintre, alors il décida de l'inspecter davantage. En passant le doigt près de la doublure il ressentit un élément supplémentaire à hauteur de la poitrine, il prit donc une plume qui traînait sur le carrelage et se mit à gratter entre les deux niveaux de tissu. Les deux tissus se séparèrent étrangement vite. Il rentra sa main dans la fente et sentit quelque chose. Du papier ! Il constata avec bonheur le contenu de ces feuillets. C'était les premières prises de notes de Leonardo. Le disciple du grand inventeur soupira de soulagement. Bien-sûr il savait que sa quête venait seulement de commencer mais il était heureux de sa découverte. Désormais, il allait devoir retourner vivre à sa villa de Vaprio d'Adda pendant quelques temps afin de rassembler toutes les feuilles manquantes et les annoter. Il lui faudrait également engager des scribes pour le faire, le chemin était encore long, mais Francesco était prêt. Prêt à honorer son mentor et son amant.



Après cette grande découverte, Francesco s'en alla prévenir François Ier de son départ.

« Bien que je sois fort peiné de ce départ si prompt, j'entends vos motivations et je les encourage.

— Je vous remercie du fond du cœur pour toute la bonté dont vous avez fait preuve durant mon séjour, Votre Majesté.

— Je vous en prie, cessez les formules de politesse, mon ami. Votre départ est une grande perte pour la cour. Jamais je ne retrouverai un élément comme vous et votre maître de ma vie.

— Je vous promets de vous envoyer des lettres et de terminer le projet inachevé de mon mentor. Je vous en fais le serment, jura le blondinet.

— J'apprécie votre geste, portez-vous bien, mon brave. »


Après avoir échangé quelques mots avec lui, le Roi décida de faire don de quelques écus à son protégé, pour que le voyage et ses futures recherches se passent du mieux possible. C'est ainsi que Francesco quitta le monarque au long nez et la France, pour retourner dans ses terres natales.


Le modeste disciple de Leonardo travailla à rassembler toutes ses notes pendant encore de longues années. Il engagea scribes et amis dans sa villa pour l'assister dans sa noble tâche. Accompagné du soutien moral de sa famille, qui appréciait vraiment l'inventeur, Francesco exécuta la dernière volonté de son maître du mieux qu'il put.


*

* *


Entre deux rangées d'étagères à livres, un vieil homme se baladait. Il trouva ce dont il avait envie rapidement, ce livre se démarquait des autres car il avait été écrit par quelqu'un qui n'était justement pas comme les autres. La couverture était d'un banal cuir, et le volume de l'ouvrage ne trahissait absolument pas l'amas de savoir qui était contenu à l'intérieur. Le vieil homme, satisfait de sa trouvaille, alla s'asseoir sur l'un des nombreux bancs de l'endroit. Il l'ouvrit donc avec impatience, savourant ce moment que lui offrait chaque livre, ce moment où il l'ouvrait pour la première fois et commençait sa lecture. La première page affichait:


Tratato Della Pittura

Leonardo Da Vinci, assisté par Messire Giovanni Francesco Melzi

(1651)


À propos de l'auteur