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Encre Nocturne   

Les feuilles mortes (7/12) - Sous clé [-18]

Tifani | Publié le ven 3 Juil 2020 - 19:25 | 396 Vues

Tandis que je parcourais une nouvelle fois les couloirs à sa recherche, je finis par m'immobiliser devant une porte. Je pouvais sentir à l'aura qui s'en dégageait qu'elle s'était attardée ici. Avait-elle hésité tout comme j'hésitais à mon tour? Mais ignorant l'écriteau, je franchis silencieusement la porte, et descendis dans l'obscurité croissante les marches en pierre qui menaient à la cave.
C'est ainsi que je la trouvai, frêle silhouette recroquevillée sur elle-même au centre de la pièce. L'ampoule mourante au plafond ne faisait qu'atténuer la pénombre qui régnait dans la salle. Un sourire lascif aux lèvres, et le regard perdu dans l'éclat métallique de l'objet qu'elle tenait dans ses mains, elle n'avait pas encore remarqué ma présence, et je me tins là quelques secondes à l'observer, immobile. Elle était méconnaissable de la sorte, le regard envahi d'une démence que je ne lui avais jusqu'alors jamais vue, et pourtant, j'aurais reconnu son visage aux traits doux entre mille. Puis finalement, je sentis un élan naître dans ma gorge, et former un peu de buée devant mes lèvres entrouvertes.

- Je savais que je te trouverais ici, Math...

Au son de ma voix, elle sursauta brutalement, et tout son corps se tendit, emporté par l'effroi d'être surprise sur le fait. Je pus voir l'horreur traverser ses traits quand elle me reconnut, et se mit à bredouiller des mots inintelligibles. Elle tremblait si fort que l'objet qu'elle serrait entre ses doigts lui échappa des mains, et rebondit avec un cliquètement métallique sur le sol en béton.

- Je peux... je peux tout expliquer...

Mais tandis qu'elle tendait la main sans parvenir à me quitter des yeux, cherchant désespérément à récupérer cet objet, je laissai l'énergie fourmiller dans mes membres, et un sourire sans joie naître sur mon visage. Avant que son cerveau n'ait le temps de le réaliser, je n'étais plus au fond de la salle mais devant elle, et sa main se posa sur mon pied, qui écrasait fermement la lame sous la semelle de mes chaussures. Elle frémit en levant les yeux vers moi, et dut refréner un mouvement de recul devant mon regard désapprobateur. Prise par la colère devant son état qu'elle ne pouvait me cacher, je sentis mes yeux se teinter d'une lueur jaune-vert, tandis que je la toisais d'un air sévère. Une coupure traversait son visage éploré, comme marquant sa joue d'une ligne rouge allant de son nez à son cou fragile. Mais malgré la culpabilité qui faisant trembler ses yeux, sa main se raffermit sur mon pied, tentant de le déplacer tant bien que mal. Aussitôt, mon expression se fit moins dure, et je la dévisageai avec une certaine incompréhension.

- S'il te plait... rends le moi, j'en ai besoin...

Peu importe à quel point elle avait peur d'être jugée pour ses fautes, son désarroi semblait bien plus grand à cet instant, tandis qu'elle saisissait ma chaussure à deux mains dans l'espoir de dégager son arme. Elle ne semblait même plus voir les fines coupures rouges qui ornaient ses mains et cerclaient ses doigts comme un motif complexe que nul n'aurait pu comprendre. Elle avait beau savoir que ses maigres forces ne suffiraient jamais pour déplacer mon pied, elle s'obstinait et y mettait toute son énergie, la mâchoire crispée, inconsciente des larmes qui commençaient à descendre le long de ses joues.

- Alors tout ce temps c'était toi? C'était toi qui t'infligeais ces blessures ?

- Non je... je peux t'expliquer... je t'en prie...

Elle avait courbé un peu plus l'échine à l'évocation des trop nombreuses plaies que j'avais passé ces dernières années à panser soigneusement. Du coin de l'oeil, je devinais certains de ses bandages encore frais éparpillés contre le mur. Je m'accroupis devant elle, la forçant à reculer un peu, et avec une précaution infinie, je pris son visage dans mes mains, laissant glisser mon pouce sur la plaie pour en essuyer le sang, en ignorant les larmes qui coulaient sur mes doigts, continuant leur chemin vers son menton. Alors seulement elle releva les yeux vers moi, et j'y lus une horreur bien plus grande tandis qu'elle réalisait son état à travers mon contact.

- Je... non, c'est impossible...

Mon expression se fit plus triste, tandis que je la contemplais en silence. Ses forces semblèrent l'abandonner et elle baissa lentement la tête, abattue par le choc. J'envisageais de la porter hors d'ici, mais une lueur se ralluma dans son regard à la vue du manche de la lame, qui dépassait à peine de sous mon pied. Je saisis sa main quand elle la tendit de nouveau vers mon pied, mais elle ignora mon expression et mon attitude menaçante, comme fascinée par l'éclat métallique de la lame.

- Math, ça suffit.

Au son de ma voix, les larmes se remirent à couler sur ses joues avec force, et elle s'étira pour tenter d'atteindre malgré tout ce que je tenais hors d'atteinte. Elle était tellement prise par son objectif qu'elle ne réalisait sûrement pas que si je l'avais lâchée, elle se serait effondrée, dans cette position précaire.

- Non... Star, je t'en supplie...!

Je sentis ma mâchoire se crisper au son plaintif de sa voix déchirante, mais même si je sentais mon cœur se serrer dans ma poitrine, j'ignorai ses appels. Sacrifiant une partie de mon énergie dans la résolution que je prenais, j'inspirai brutalement, l'air sifflant à travers mes dents serrées. Elle ne poussa pas le moindre cri lorsque son dos heurta le sol froid. J'avais tordu son bras pour la faire basculer, presque méthodiquement. Sans perdre une seconde, je saisis la lame entre mes doigts, profitant qu'elle ne puisse pas l'atteindre. Elle laissa échapper une plainte lorsqu'elle l'entendit ricocher au fin fond de la salle, désormais tout à fait hors de portée, mais sans lui laisser la moindre chance de se relever, je m'agenouillai au dessus d'elle, mes jambes de part et d'autres des siennes, la clouant au sol. Sa tête cogna contre mon buste lorsqu'elle se redressa d'un bloc, cherchant à se dégager, mais elle se rendit très vite à l'évidence. J'étais trop lourde pour le peu de force qu'il lui restait.

Elle envisageait de se libérer de mon emprise en reculant, mais sans lui en laissait le temps, je l'enserrai de mes bras, lui coupant toute retraite. Elle se débattit un peu, mais ses coups étaient encore plus faibles qu'auparavant, maintenant que l'objet de son désir était invisible, au loin dans l'obscurité. Elle n'avait même pas la force de soulever son corps engourdi par le froid qui régnait dans la pièce, pour s'éloigner de moi. Et très vite, tandis que je la soulevais doucement pour la prendre dans mes bras, elle cessa de lutter, et ses doigts se refermèrent sur mon haut auquel elle s'agrippait désormais. Pourtant, je sentais toujours les sanglots agiter son corps entier de ses tremblements, et son coeur battre fébrilement dans sa poitrine.

- J'y arriverai pas... je t'en supplie...

- Ca va aller. Je vais m'occuper de toi. Ca va aller.

Il m'était difficile de masquer les tremblements et l'hésitation dans ma voix, tant son attitude et la situation me troublait, mais je parvins malgré tout à maintenir ma détermination et ma foi. Pourtant, si ça semblait la rassurer, ce n'était visiblement pas assez devant l'immensité de cette souffrance qui la terrassait.

- Non, je t'en prie... pardon... j'y arriverai pas... Je t'en supplie...

- Je vais prendre soin de toi, d'accord? On va y arriver, ensemble.

Je sentis mon coeur répondre aux mots que je prononçais, et ma voix reprendre en assurance. Qu'importe l'intensité de cette chose qui lui causait tant de tourments, au point qu'elle se réfugie dans cet endroit sinistre. Je l'envelopperais de toute ma force et de toute ma volonté, jusqu'à ce que les ombres qui déchiraient son âme s'éteignent, et que le feu de sa foi renaisse de ses cendres. Autant que je le pouvais...

- Je peux pas... s'il te plait... je veux juste... disparaître...

Son regard avait glissé sur mon sourire confiant sans le voir, et elle avait finalement plongé son visage dans les replis de mon pull. Je la serrais aussi fort que je le pouvais dans mes bras pour la réconforter, et elle ne remarqua pas alors les larmes couler le long de ma mâchoire crispée.

Les secondes avaient passé, et je sentais mes membres s'engourdir désormais. Depuis combien de temps étais-je ici? Trop longtemps, certainement. Ignorant la douleur lancinante dans mes jambes, je me redressai doucement, et passant une de mes mains sous les jambes de Math, je la soulevai pour la porter dans mes bras. Elle était si légère que si sa poitrine ne se soulevait pas régulièrement, et que je ne sentais pas son coeur battre à l'unisson contre le mien, j'aurais juré porter le cadavre d'une fragile créature. Mais chassant ces pensées morbides, je me mis en marche, tâchant de continuer à répandre ma chaleur dans son corps. Comme si elle répondait à mes efforts, elle serra mon haut un peu plus, et pressa sa tête contre ma poitrine, tandis que je la portais loin de cet endroit qui avait hébergé sa souffrance.

Lorsque je franchis la porte pour regagner le couloir, sa tête penchait en arrière, l'épuisement ayant eu raison d'elle. Je marquai une pause après avoir refermé à clé derrière moi, en profitant pour jeter un oeil vers ma protégée. Elle dormait paisiblement, inconsciente de la multitude de plaies qui recouvraient son corps. J'esquissai un sourire, ignorant les ombres et la fatigue qui gagnaient mon regard. Répondant à mon énergie, la coupure qui ornait son doux visage s'effaça lentement, comme si elle n'avait jamais existé. Et tandis que je reprenais mes pas pour la ramener chez nous, je sentis ma joue gauche me brûler un peu, tandis qu'une plaie s'y formait, traçant une ligne rouge du nez jusqu'au menton.

Quand je regagnai finalement la salle qui nous servait de foyer, mon regard brûlait de nouveau de détermination, et mon sourire faisant danser la coupure qui ornait désormais mon visage. L'éclat acide de mon regard se posa sur Math, et je déposai un baiser sur son front avant de l'envelopper dans des couvertures. Elle pouvait dormir sur ses deux oreilles, je ne la lâcherais plus d'une semelle. J'allais tout faire pour que nous nous en sortions toutes. J'en avais fait la promesse à une vieille amie. Et sortant la clé de la cave de ma poche, sans la moindre hésitation, je l'avalai.

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