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Encre Nocturne   

L'océan de Moana - Écriture à partir d'une image - Nouvelle [TP]

LinaLo | Publié le jeu 10 Sep 2020 - 12:27 | 1056 Vues

L'océan de Moana

 Par LinaLo

Je parfais actuellement ma plume en répondant à des petits jeux d'écriture. Celui consistait à écrire à partir d'une image. J'aime beaucoup le thème de l'océan. Même si je dois le dire je n'y connais pas grand chose en navigation.

À vos commentaires, prêts, partez...

Le port de plaisance accueillait ce jour-là une flotte peu commune, énergique, aguerrie aux plus grandes traversées. Il restait rare de voir réunir ici autant de bateaux si majestueux.

Alors qu’un vent d’est soufflait fort sur l’embarcadère où s’affairaient les moussaillons, hissant à bord les provisions nécessaires au voyage, les âmes de la région, attirées par le spectacle, retenaient chapeaux et chasubles. Leurs regards, cachés par une main protectrice sur leurs visages pour parer aux rayons déjà incandescents de l’astre, malgré l’heure bien matinale, se portaient tous vers le plus beau navire. Le nôtre.

Un trois mats d'une hauteur inégalable. Ce que je pouvais me sentir fier de mon équipage. De tout temps, par toutes météos, nous avions traversé des aventures dignes des plus grands contes. Prendre la mer était pour nous synonymes de résurrection après certaines périodes où nous nous trouvions obligés de rester à terre durant plusieurs semaines. Sur le sol dur du continent, aucun d’entre nous ne pouvait se sentir dans son élément. L’eau nous appelait.

Nous rêvions de nos prochains périples. Quelles pourrait être notre future position ? Voilà ce que nous nous demandions sans arrêt. Qu’indiquerait prochainement la boussole ? Où notre compas nous mènerait-il bientôt ? Cela ne m’inquiétait pas.

En moi perçait l’urgence de reprendre le large, il me fallait l’avouer, mais une autre me préoccupait bien plus.

Tandis que depuis la côte, l’horizon laissait dévoiler son attrait grâce à la brume dissipée par les alizées, et que les matelots s’affairaient à hisser les voiles, à récurer le pont et à observer les nouveaux outillages des goélettes alentour, je me faisais un sang d’encre pour mon ami Moana. Notre dernier périple, dont nous revenions finalement à peine, il y avait tout juste quelques jours, nous mena dans une traversée à laquelle nous ne nous attendions pas.

Naviguant en direction de l’Australie, notre voilier dut esquiver de larges et longs bancs de coraux que nous n’avions pas prévu de trouver en si grand nombre sous notre embarcation en cours de route. Il s’en fallut de peu pour que notre coque n’essuie pas de terribles dégâts qui nous auraient cloués là, sûrement au fond de la mer, parmi les autres épaves. Seulement, détournant tant bien que mal notre navire en faisant barre à tribord, nous nous détournâmes de notre itinéraire maritime et finîmes par essuyer une tempête digne des plus grands événements cataclysmiques de l’océan. La houle faillit bien nous emporter à plusieurs reprises, mais heureusement, Moana et moi avions de l’expérience et savions comment agir dans ce genre de situation.

Seulement voilà, celui-ci dut un instant esquiver un tonneau de vin qui roulait sur le pont, car l’un des membres de notre équipage avait dû mal l’attacher. Ce dernier le fit tomber et son ventre vint heurter un de nos harpons.

Même si je savais à tout moment rester capitaine de mon navire, la panique me prit et pour cause, sur le corps de mon ami ruisselait le sang. Or, Moana était tout pour moi, raison pour laquelle cet accident fut un choc immense. Depuis mes débuts de navigateur, je ne refusais jamais ses précieux conseils. Je le considérais comme un frère, le seul que la vie ait daigné me procurer.

Lui et moi avions grandi ensemble dans un village non loin d’une crique bien connu des pirates dont nos pères respectifs faisaient partie. Dès l’âge où l’on commença à se tenir sur nos deux jambes, nous jouions ensemble. Les années suivantes, nous imitions déjà les marins et autres corsaires qui faisaient halte en ce lieu. Nos mères, toutes deux des victimes de la folie furieuse due à l’ivresse de nos paternels, connaissaient l’âme humaine plus que personne. Elles étaient amies. Des amies inséparables tous comme l’étaient leurs fils, nous.

Elles se plaisaient à nous prodiguer exactement la même éducation. Très vite, Moana crut pouvoir s’identifier à moi comme le ferait un frère, et je fis de même. Nous grandîmes côte à côte, nous nous mîmes à aimer les mêmes biens matériels, les mêmes bienfaits de la vie, et même les mêmes filles… Par-dessus tout, à croire que nos gènes étaient semblables, ne cessant de réclamer ça, nous aimions l’océan et les légendes qui l’accompagnaient. Mythes indélébiles que le sang des navigateurs, de toutes époques, avait écrits en lettres rouges sur les planisphères dont, nous ne le savions pas encore, nous nous servirions plus tard. Et ce plus tard était venu.

Aujourd’hui, Moana et moi nous sentions tristes, malgré une mer calme et un objectif bien défini, ancré dans le périscope comme toujours. Nous comprenions que cette journée ne correspondait à aucune autre auparavant. Nous n’avions encore jamais été confrontés à pareille épreuve. La plaie que ce harpon malencontreux avait creusé sur son ventre s’infectait d’heure en heure, de minute en minute et de seconde en seconde, à mon plus grand désarroi.

Nous devions reprendre le large, mais j’hésitais. Devais-je laisser faire la vie, comme me l’avait enseigné Océanie, la mère de Moana et Ondine, la mienne, ou devais-je mettre en œuvre les soins nécessaires que je ne trouverais qu’à quelques heures d’ici, sur les terres profondes, alors que tout mon équipage n’attendait qu’une chose : repartir vers les embruns salés et l’air iodés des flots lointains.

Je savais bien que Moana n’aimerait pas que je retarde cette excursion pour lui. Nous venions d’apprendre l’existence d’une grotte sur une petite île perdue au milieu de l’océan indien où il restait vraisemblablement du matériel qui nous serait fort utile pour réarmer et rénover notre vaisseau flottant.

Non, Moana ne voudrait sûrement pas que j’interrompe une telle possibilité dont nous avions tant besoin depuis longtemps.

Une fois le gréement paré à nous lancer, nous prîmes donc les eaux et nous naviguâmes toute la journée sans majeur problème, sans mauvaise météo, et sans houle cette fois. Maudite ironie du sort… La seule perturbation qui existait à ce jour se trouvait en mon cœur. L’état général de Moana se dégradait très vite. Alors je compris, tandis que nous arrivions dans la zone recherchée…

Le soleil diminuait déjà dans le ciel, quand Moana me fit appeler.

– Te souviendras-tu toujours que nous étions frères Noah, me demanda-t-il.

– Oui, bien entendu, lui répondis-je en retenant les premières larmes de mon parcours de marin. Tu es et resteras toujours mon égal, le seul être qui, en dehors de nos mères, compta un jour pour moi sur cette Terre.

Moana me regarda avec beaucoup d’apaisement dans le regard. La douleur semblait s’effacer. Il s’endormit, du moins, c’est ce que je voulus croire sur l’instant, mais au fond, je savais... Et alors que nous abordions la côte et jetions l’ancre, je pleurais.

Moana n’était plus et le soleil, lui, se couchait.

Je lui organisais dans les heures qui suivirent, malgré ma gorge serrée et mon estomac noué, la plus belle cérémonie qui puisse exister pour un matelot. Beaucoup furent touchés quand nous rendîmes son corps à la mer. C’est ce qu’il aurait voulu, je le savais pertinemment.

La nuit tomba et une nouvelle étoile se mit à briller dans les cieux bleu-marine. Je ne me posais aucune question. Ça m’était inutile. Je savais que Moana veillait maintenant sur moi, plongé dans l’infini comme j’aimais plonger dans l’eau.

C’est ce que je fis d’ailleurs.

La mer met au monde des hommes qu’elle reprend de droit tôt ou tard. Ainsi va la vie...

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