Sujet: La Joie du Brunch Dominical [-18] Jeu 9 Mai 2019 - 15:05
« L'unique chose à quoi on doit penser, et je m'en rends compte sur la fin de ma vie, c'est à la mort. »
- Umberto Eco, le Nom de la Rose
1. Caterina
Lorsqu'un marin arrivait dans le port d'Auditore, il devait tout d'abord traverser une longue jetée, dont la présence de nombreuses épouses lui avait donné le sobriquet de Criée, mot cruel sans doute trouvé dans une taverne un soir de beuverie, par un voyageur assez hypocrite pour ne pas se rendre compte que sa femme l'attendrait avec empressement lors de l'escale suivante, et que s'il ne revenait pas, elle le pleurerait au sanctuaire qui donnait vue sur la mer et où on veillait les âmes de ceux dont on n'avait pas retrouvé le corps. Et si le loup de mer n'avait pas de coeur qui l'attendait, il pouvait toujours se consoler auprès d'une fille de joie dans une de ces sordides auberges signalées par une lucarne rouge. Ainsi même dans leur vie solitaire, les marins étaient toujours entourés par les femmes.
Mais que celles-ci soient compagnes, prostituées ou veuves, leur rôle reste particulièrement ingrat. Ce n'est pas pour rien que les mères refusent que leurs chers enfants s'approchent de ceux qui sont déjà mariés à la mer. Et pour cela, elles ont un allié de poids dans l'austère couvent des Sœurs Servantes, que tant de jeunes prétendants ont voulu franchir malgré la présence des cruelles gardiennes.
Pourtant, mon intention n'était pas d'intenter à l'intégrité morale des pensionnaires quand je pénétrai pour la première fois dans leur imposante bibliothèque, mais d'abreuver ma soif de connaissances en recherchant un ouvrage fort rare. Profitant de l’ouverture aux érudits le matin – et de la réputation philanthropique de ma famille qui me permettait aisément de dépasser les horaires - je restais à étudier les récits de voyage et recueils de contes, qui circulaient à l’époque au gré du passage des colporteurs.
Quand j’ai croisé pour la première fois le regard de Caterina di Firenze, j'en suis resté muet d'admiration et n’ai pas su lui répondre quand elle m’a demandé de chercher le Pentamerone, évitant ainsi que l’escalade de la haute échelle ne dévoile ses chevilles devant un inconnu. Elle avait les yeux d’un bleu-gris clair, très expressifs, et le teint pâle qui contrastait avantageusement avec les beautés brûlées par le soleil que l’on voit sur le port. Souvent délavés par les larmes qu’impose la rigueur religieuse, ils pourraient nous guider aux paradis si leurs regards n’invitaient pas à des activités moins pieuses.
Mais c'est surtout l'amour des lettres qui nous a rapprochés, et j'en suis rapidement arrivé à lui prêter clandestinement certaines de mes lectures. S'ensuivi une longue romance qui dura tout l'hiver, faites de feuillets glissés entre les pages et de sourires échangés. Tout aurait pu en rester là si nous n'avions pas été découvert.
Version précédente:
« L'unique chose à quoi on doit penser, et je m'en rends compte sur la fin de ma vie, c'est à la mort. »
- Umberto Eco, le Nom de la Rose
1
La nouvelle route australe avait fait exploser le commerce des épices. Chaque jour, on voyait l’arrivée de nombreux chariots remplis de coriandre, curcuma, poivre et surtout la précieuse cannelle, dont l’ajout avait permis aux cuisiniers de remplacer avantageusement le miel et de se faire facilement financer par une élite nobiliaire avide de nouveauté. L’année dernière, le jeune prodige Ettezze avait été embauché par le Seigneur Aldereste, quittant son obscure auberge pour rejoindre le plus somptueux palais de la Côte de Marbre. Le contrat qu’il avait signé avec la maison familiale pour récupérer des matières premières, explique en partie l’augmentation insolente de notre fortune.
C’est aussi la raison qui a poussé mon père à m’envoyer inspecter notre comptoir de Nekhou. J’aimerais dire que ce premier grand voyage m’enchantait, comme m’a si souvent sermonné mon père devant mon manque d’enthousiasme, mais à l’époque, mon esprit était entièrement focalisé sur la plus aimable personne que je connaisse, la belle Caterina di Firenze, dont j’avais formé le dessein de l’épouser. Ce n’était pas le goût du goût de mon géniteur, qui considérait que je méritais mieux qu’une demoiselle obscure abandonnée par sa famille dans un lointain couvent et qui à coup sûr ne m’apporterait aucune dot.
Certes, ce n’était pas la fortune qui m’avait poussé dans les bras de ma promise, mais une profonde affection et un goût immodéré pour les recueils de contes, qui circulaient à l’époque au gré du passage des colporteurs. Ainsi, je lui prêtais clandestinement certaines de mes lectures au sein de l’austère bibliothèque du Couvent des Sœurs Servantes, réservée aux jeunes filles mais dont l’ouverture aux érudits le matin – et la réputation philanthropique de ma famille qui me permettait aisément de dépasser les horaires – me permettait d’échanger quelques mots pendant l’introduction de livres prohibés dans la cellule de la jeune femme.
Caterina a les yeux d’un bleu-gris clair, très expressifs, et qui contrastent avantageusement avec les beautés brûlées par le soleil que l’on voit sur le port. Souvent délavés par les larmes qu’impose la rigueur religieuse, ils pourraient nous guider aux paradis si leurs regards n’invitaient pas à des activités moins pieuses. Ainsi quand elle m’a croisé la première fois, je n’ai pas su lui répondre quand elle m’a demandé de chercher le Pentamerone, évitant ainsi que l’escalade de la haute échelle ne dévoile ses chevilles devant un inconnu.
Au fur et à mesure de nos échanges, je m’enhardissais, imaginant les plans les plus fous comme celui d’approcher sa cellule en soudoyant un jardinier, oubliant les risques pour ma réputation et la perspicacité des tutrices de ma chère et tendre, qui lui interdisaient maintenant de me fréquenter. Si les lettres pouvaient encore être cachées entre les livres, elles n’allaient pas tarder à être découverte. Il me fallait penser à un moyen plus honnête pour la voir : le mariage.
Corrections:
« L'unique chose à quoi on doit penser, et je m'en rends compte sur la fin de ma vie, c'est à la mort. »
- Umberto Eco, le Nom de la Rose
1
La nouvelle route australe avait fait exploser le commerce des épices. Chaque jour, on voyait l’arrivée de nombreux chariots remplis de coriandre, curcuma, poivre et surtout la précieuse cannelle, dont l’ajout avait permis aux cuisiniers de remplacer avantageusement le miel et de se faire facilement financer par une élite nobiliaire avide de nouveauté. L’année dernière, le jeune prodige Ettezze avait été embauché par le Seigneur Aldereste, quittant son obscure auberge pour rejoindre le plus somptueux palais de la Côte de Marbre. Le contrat qu’il avait signé avec la maison familiale pour récupérer des matières premières, explique en partie l’augmentation insolente de notre fortune.
C’est aussi la raison qui a poussé mon père à m’envoyer inspecter notre comptoir de Nekhou. J’aimerai = j'aimerais ? dire que ce premier grand voyage m’enchantait, comme m’a si souvent sermonné mon père devant mon manque d’enthousiasme, mais à l’époque, mon esprit était entièrement focalisé sur la plus aimable personne que je connaisse, la belle Caterina di Firenze, dont j’avais formé le dessein de l’épouser. Ce n’était pas le goût du goût de mon géniteur, qui considérait que je méritais mieux qu’une demoiselle obscure abandonné = abandonnée par sa famille dans un lointain couvent et qui a coup sur = à coup sûr ne m’apporterait aucune dot.
Certes, ce n’était pas la fortune qui m’avait poussé dans les bras de ma promise, mais une profonde affection et un goût immodéré pour les recueils de contes, qui circulaient à l’époque au gré du passage des colporteurs. Ainsi, je lui prêtais clandestinement certaines de mes lectures au sein de l’austère bibliothèque du Couvent des Sœurs Servantes, réservée aux jeunes filles mais dont l’ouverture aux érudits le matin – et la réputation philanthropique de ma famille qui me permettait aisément de dépasser les horaires – me permettait d’échanger quelques mots pendant l’introduction de livres prohibés dans la cellule de la jeune femme.
Caterina a les yeux d’un bleu-gris clair, très expressifs, et qui contrastent avantageusement avec les beautés brûlées par le soleil que l’on voit sur le port. Souvent délavée = délavés ? par les larmes qu’impose la rigueur religieuse, ils pourraient nous guider aux paradis si leurs regards n’invitaient pas à des activités moins pieuses. Ainsi quand elle m’a croisé la première fois, je n’ai pas su lui répondre quand elle m’a demandé de chercher le Pentamerone, évitant ainsi que l’escalade de la haute échelle ne dévoile ses chevilles devant un inconnu.
Au fur et à mesure de nos échanges, je m’enhardissais, imaginant les plans les plus fous comme celui d’approcher sa cellule en soudoyant un jardinier, oubliant les risques pour ma réputation et la perspicacité des tutrices de ma chère et tendre, qui lui interdisaient maintenant de me fréquenter. Si les lettres pouvaient encore être cachés = cachées entre les livres, elles n’allaient pas tarder à être découverte. Il me fallait penser à un moyen plus honnête pour la voir : le mariage.
Dernière édition par K le Ven 5 Juil 2019 - 7:22, édité 1 fois
Flopostrophe Créature du Nord à l'humour absurde
Messages : 990 Date d'inscription : 19/01/2017 Localisation : Sur le toit Humeur : Le temps passe trop vite
Sujet: Re: La Joie du Brunch Dominical [-18] Jeu 30 Mai 2019 - 14:12
Salut K !
Commentaire:
« L'unique chose à quoi on doit penser, et je m'en rends compte sur la fin de ma vie, c'est à la mort. » C'est bien triste aux premiers abords, cette phrase... Mais ça voudrait dire qu'il faut penser à sa mort pour mieux profiter du présent ? ^^ - Umberto Eco, le Nom de la Rose
1
La nouvelle route australe avait fait exploser le commerce des épices. Chaque jour, on voyait l’arrivée de nombreux chariots remplis de coriandre, curcuma, poivre et surtout la précieuse cannelle, dont l’ajout avait permis aux cuisiniers de remplacer avantageusement le miel et de se faire facilement financer par une élite nobiliaire avide de nouveauté. L’année dernière, le jeune prodige Ettezze avait été embauché par le Seigneur Aldereste, quittant son obscure auberge pour rejoindre le plus somptueux palais de la Côte de Marbre. Le contrat qu’il avait signé avec la maison familiale pour récupérer des matières premières, explique en partie l’augmentation insolente de notre fortune. Moui, un peu difficile à lire, je trouve, ce premier paragraphe...
C’est aussi la raison qui a poussé mon père à m’envoyer inspecter notre comptoir de Nekhou. J’aimerais (oui tu avais mis au futur "j'aimerai", c'est pas mieux au conditionnel comme ça ? Si non, tu peux aller rechanger dans ton texte et je m'en excuse ^^) dire que ce premier grand voyage m’enchantait, comme m’a si souvent sermonné mon père devant mon manque d’enthousiasme, mais à l’époque, mon esprit était entièrement focalisé sur la plus aimable personne que je connaisse, la belle Caterina di Firenze, dont j’avais formé le dessein de l’épouser. Ce n’était pas le goût du goût de mon géniteur, qui considérait que je méritais mieux qu’une demoiselle obscure abandonnée par sa famille dans un lointain couvent et qui à coup sûr ne m’apporterait aucune dot.
Certes, ce n’était pas la fortune qui m’avait poussé dans les bras de ma promise, mais une profonde affection et un goût immodéré pour les recueils de contes c'est qui qui a ce goût pour les contes ? Elle ou lui ou les deux ? En fait ça parait clair hein, que c'est les deux, mais on dirait qu'il manque quand même un élément à la phrase pour coller avec le début. En fait ici, tu dis que c'est lui qui a ce goût pour les contes, vu que juste avant tu dis qu'il a une profonde affection, et ce goût là. Donc on se dit, oui il a ce goût pour les recueils, mais elle aussi ? Fin il manque un truc à la phrase..., qui circulaient à l’époque au gré du passage des colporteurs. Ainsi, je lui prêtais clandestinement certaines de mes lectures au sein de l’austère bibliothèque du Couvent des Sœurs Servantes, réservée aux jeunes filles mais dont l’ouverture aux érudits le matin – et la réputation philanthropique de ma famille qui me permettait aisément de dépasser les horaires – me permettait d’échanger quelques mots pendant l’introduction de livres prohibés dans la cellule de la jeune femme. Cette phrase est beaucoup trop longue, on s'y perd je trouve...
Caterina a les yeux d’un bleu-gris clair, très expressifs, et qui contrastent avantageusement avec les beautés brûlées par le soleil que l’on voit sur le port. Les beautés brûlées, ça fait plus référence à la peau que aux yeux, non ? Donc où serait le contraste si on compare des yeux à de la peau ? Rholala je chipote ^^' Souvent délavés par les larmes (oui, j'ai enlevé le E de délavées, parce que ton sujet, c'est "ils". Pour être sûre de comprendre, le "ils" fait référence aux yeux, c'est bien ça ?) qu’impose la rigueur religieuse Oh pas cool la rigueur religieuse :/, ils pourraient nous guider aux paradis si leurs regards n’invitaient pas à des activités moins pieuses. Tellement ils sont beaux, c'est ça ? ^^ Ainsi quand elle m’a croisé la première fois, je n’ai pas su lui répondre quand elle m’a demandé de chercher le Pentamerone, évitant ainsi que l’escalade de la haute échelle ne dévoile ses chevilles devant un inconnu. j'imagine bien la rencontre
Au fur et à mesure de nos échanges, je m’enhardissais, imaginant les plans les plus fous comme celui d’approcher sa cellule en soudoyant un jardinier, oubliant les risques pour ma réputation et la perspicacité des tutrices de ma chère et tendre, qui lui interdisaient maintenant de me fréquenter. Si les lettres pouvaient encore être cachées entre les livres, elles n’allaient pas tarder à être découverte. Il me fallait penser à un moyen plus honnête pour la voir : le mariage.
Ton histoire est chouette à lire, elle fait référence à une époque plutôt ancienne, j'aime bien. On dirait que l'histoire ne sera pas trop basée sur leur histoire d'amour, vu comme tu passes rapidement dessus... Mais à voir ^^ J'aimerais découvrir pourquoi ce titre, pourquoi cette citation, pourquoi [-18] aussi, dans la suite Continue K, je repasserai lire la suite avec plaisir !
K Emmerdeur officiel
Messages : 440 Date d'inscription : 13/11/2017
Sujet: Re: La Joie du Brunch Dominical [-18] Ven 5 Juil 2019 - 8:27
Merci beaucoup Flopostrophe. Je te remercie pour ton commentaire et suis ravie que tu ais apprécié ce premier chapitre. Pour moi, je le trouve maintenant vraiment trop peu digeste et j'avoue l'avoir refondu après l'avoir présenté au MAC. Tout le premier paragraphe a été déplacé et l'histoire d'amour un peu plus contextualisé. Elle reste encore expédié, mais j'avoue être bloqué par mon format. Tu trouveras juste en dessous le chapitre 2. Il reprend le début de l'ancien chapitre 1 et continue l'histoire.
K Emmerdeur officiel
Messages : 440 Date d'inscription : 13/11/2017
Sujet: Re: La Joie du Brunch Dominical [-18] Ven 5 Juil 2019 - 8:28
2. Mon Père
La nouvelle route australe avait fait exploser le commerce des épices. Chaque jour, on voyait l’arrivée de nombreux chariots remplis de coriandre, curcuma, poivre et surtout la précieuse cannelle, dont l’ajout avait permis aux cuisiniers de remplacer avantageusement le miel et de se faire facilement financer par une élite nobiliaire avide de nouveauté. L’année dernière, le jeune prodige Ettezze avait été embauché par le Seigneur Aldereste, quittant son obscure auberge pour rejoindre le plus somptueux palais de la Côte de Marbre. Le contrat qu’il avait signé avec la maison familiale pour récupérer des matières premières, explique en partie l’augmentation insolente de notre fortune.
En traversant le chantier qu'était devenu notre hôtel particulier, je m'attendais presque à voir mon père examiner ses comptes dans une salle à ciel ouvert. Mais comme j'aurais pu m'en douter, aucun ouvrier n'avait été assez fou pour toucher à la salle où étaient enfermés les documents sur lesquels reposaient notre famille. Il était dit que la pièce sombre resterait jusqu'à la fin des temps le coeur de la bâtisse, comme l'antre d'un monstre fantastique. Le visage de mon géniteur, en cet instant, faisant tout pour y ressembler.
Lorsqu'il me vit entrer, il ne m'accueillit pas. Habitué à ce genre de comportement, je m'installai sur une des deux chaises fort inconfortable qui se trouvaient en face de sa table de travail, une spécificité qu'il utilisait avec un certain talent pour mener à bien des négociations. Essayez de négocier une augmentation de salaire quand au bout de dix minutes, votre dos vous fait mal ! Autant dire que le voir continuer sa tâche en cours était une frustration qu'il utilisait pour me signifier son mécontentement.
Après une éternité, qui n'avait dû sans doute ne durer qu'une demi-heure en dehors de cette pièce, il termina son mémoire et sortit une lettre qu'il relut avec application. Je frémis en voyant le cachet du couvent des Soeurs Servantes. Enfin, il reposa la missive, joignit les mains et me regarda fixement :
"Fils, votre travail au sein de notre compagnie est excellent."
Je ne sus que répondre, n'ayant pas prévu cette éventualité. S'attendant à une réponse, ou prenant plaisir à installer un instant de malaise, il fit tout pour ne pas casser ce silence, du moins pendant une bonne minute. Voyant que j'étais toujours muet, il continua :
"Vous m'avez toujours demandé de plus vous associer à mes affaires. Et comme je ne suis pas un ingrat, et que vous avez fait vos preuves, je vous offre le poste de second."
J'allais le remercier quand il ajouta : "En ce sens, votre première mission sera de partir vérifier la tenue de nos comptoirs en Nekhou, un voyage qui ne vous prendra que six courts mois." Et pour la première fois depuis le début de l'entretien, je le vis sourire. Surtout quand il ajouta : "le prochain convoi part cet après-midi, je crains que ce ne soit trop court pour que vous puissiez dire au-revoir à votre bien-aimée."
Texte avant correction %:
2. Mon Père
La nouvelle route australe avait fait exploser le commerce des épices. Chaque jour, on voyait l’arrivée de nombreux chariots remplis de coriandre, curcuma, poivre et surtout la précieuse cannelle, dont l’ajout avait permis aux cuisiniers de remplacer avantageusement le miel et de se faire facilement financer par une élite nobiliaire avide de nouveauté. L’année dernière, le jeune prodige Ettezze avait été embauché par le Seigneur Aldereste, quittant son obscure auberge pour rejoindre le plus somptueux palais de la Côte de Marbre. Le contrat qu’il avait signé avec la maison familiale pour récupérer des matières premières, explique en partie l’augmentation insolente de notre fortune.
En traversant le chantier qu'était devenu notre hôtel particulier, je m'attendais presque à voir mon père examiner ses comptes dans une salle à ciel ouvert. Mais comme j'aurais pu m'en douter, aucun ouvrier n'avait été assez fou pour toucher à la salle où était enfermé les documents sur lequel reposaient notre famille. Il était dit que la pièce sombre resterait jusqu'à la fin des temps le coeur de la bâtisse, comme l'antre d'un monstre fantastique. Le visage de mon géniteur en cet instant faisant tout pour y ressembler.
Lorsqu'il me vit entrer, il ne m'accueillit pas. Habitué à ce genre de comportement, je m'installai sur une des deux chaises fort inconfortable qui se trouvait en face de se table de travail, une spécificité qu'il utilisait avec un certain talent pour mener à bien des négociations. Essayez de négocier une augmentation de salaire quand au bout de dix minutes votre dos vous fait mal ! Autant dire que le voir continuer sa tâche en cours était une frustration qu'il utilisait pour me signifier son mécontentement.
Après une éternité, qui ne devait sans doute durer qu'une demi-heure en dehors de cette pièce, il termina son mémoire et sortit une lettre qu'il relut avec application. Je frémis en voyant le cachet du couvent des Soeurs Servantes. Enfin, il reposa la missive, joignit les mains et me regarda fixement :
"Fils, votre travail au sein de notre compagnie est excellent."
Je ne sus que répondre, n'ayant pas prévu cette éventualité. S'attendant à une réponse, ou prenant plaisir à installer un instant de malaise, il fit tout pour ne pas casser ce silence, du moins pendant une bonne minute. Voyant que j'étais toujours muet, il continua :
"Vous m'avez toujours demandé de plus vous associer à mes affaires. Et comme je ne suis pas un ingrat, et que vous avez fait vos preuves, je vous offre le poste de second."
J'allais le remercier quand il ajouta : "En ce sens, votre première mission sera de partir vérifier la tenue des nos comptoirs en Nekhou, un voyage qui ne vous prendra que six courts mois." Et pour la première fois depuis le début de l'entretien, je le vis sourire. Surtout quand il ajouta : "le prochain convoi part cet après-midi, je crains que ce soit trop court pour que vous ne puissiez dire au-revoir à votre bien aimé."
K Emmerdeur officiel
Messages : 440 Date d'inscription : 13/11/2017
Sujet: Re: La Joie du Brunch Dominical [-18] Lun 2 Sep 2019 - 13:25
3. Le Camelot
J'aimerais vous parler d'un voyage enrichissant, de paysages idylliques et des habitants singuliers qui peuplent le Devisement du Monde. Mais l'âpreté d'un voyage pluvieux, traversant la lande balayée par le vent, ne m'ont apporté aucune des merveilles que l'on se doit de vivre dans de pareilles expéditions, et il me désole de me voir dans l'obligation de vous délivrer pareille complainte. Hélas, si le monde n'est même plus capable de se confronter au réel, je ne lui donne pas longtemps à exister.
Mes compagnons de voyage, marchands aguerris pour la plupart, ne partageaient pas vraiment ce point de vue. Du reste, ils passaient le temps où ils ne parlaient pas de leurs affaires à profiter de mon inexpérience pour m'endurcir. Ainsi, je ne mangeais chaud qu'un jour sur deux et étais le plus propre du groupe, vu que je finissais à l'eau à chaque fois que nous suivions le cours d'une rivière. Seules quelques dames de haute compagnie, venues effectuer un pèlerinage vers les Temples du Toit du Monde, m'ont témoigné un peu de compassion. Hélas, notre séparation prochaine me faisait craindre un redoublement d'agressivité de la part de mes bourreaux.
C'est pour ça que j'avais le vague à l'âme en arrivant au bourg fortifié de Daggenhorn, alors même que mes compagnons exultaient à l'idée de prendre un bain. Il faut avoir dormi dans un marécage pour comprendre cet enthousiasme. Laissant leurs manifestations de joie grossière emplir la salle commune de l'auberge où nous nous sustentions, je m'en allais à observer les clients.
Un en particulier attira mon attention, sans doute à cause de l'attitude manifestement hostile que lui adressait le maître des lieux. Il avait beau essayer de l'amadouer en sortant deux grosses pièces en or de sa bourse de cuir, on lui fit bien comprendre qu'il n'était pas le bienvenu, sans doute à cause de son métier : c'était un colporteur, tout ce qu'il y a de plus typique, l’archétype même du bonimenteur qui passe de village en village, à savoir un être sec, au visage creusé par la fatigue et à la pilosité aléatoire, au dos un peu tordu à force de tirer sa lourde charrette à bras et qui pourtant donnait au monde extérieur la remarquable désinvolture de l’homme souriant à qui l’on servirait volontiers un coup à boire et achèterait volontiers sa camelote, moins pour les objets en eux-mêmes que pour l’entendre raconter des histoires sans aucun doute extraordinaires.
Désirant passer le temps, je m'approchai de lui dans l'espoir d'entendre des nouvelles de la région. Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir, quand il déclina son identité, un des hommes les plus célèbres d'Auditore et ancien ami de mon père, l'ancien armateur, désormais déchu, Torich Gesuald, exilé suite à d'obscurs ennuis de cour. Le revers de fortune était pour le moins conséquent.
Texte avant correction %:
3. Le Camelot
J'aimerai vous parler d'un voyage enrichissant, de paysages idylliques et des habitants singuliers qui peuple le Devisement du Monde. Mais l'âpreté d'un voyage pluvieux traversant la lande balayé par le vent ne m'ont apporté aucune des merveilles que l'on se doit de vivre dans de pareilles expéditions, et il me désole de me voir dans l'obligation de vous délivrer pareille complainte. Hélàs, si le monde n'est même plus capable de se confronter au réel, je ne lui donne pas longtemps à exister.
Mes compagnons de voyages, marchands aguerris pour la plupart, ne partagaient pas vraiment ce point de vue. Du reste, ils passaient le temps où ils ne parlaient pas de leurs affaires à profiter de mon inexpérience pour m'endurcir. Ainsi, je ne mangeais chaud qu'un jour sur deux et était plus propre du groupe, vu que je finissais à l'eau à chaque fois que nous suivions le cours d'une rivière. Seule quelques dames de haute compagnie, venues effectuer un pélerinage vers les Temples du Toit du Monde, m'ont témoignés un peu de compassion. Hélàs, notre séparation prochaine me faisait craindre un redoublement d'agressivité de la part de mes bourreaux.
C'est pour ça que j'avais le vague à l'âme en arrivant au ourg fortifié de Daggenhorn, alors même que mes compagnons exultaient à l'idée de prendre un bain. Il faut avoir dormi dans un marécage pour comprendre cet enthousiasme. Laissant leurs manifestations de joie grossière emplir la salle commune de l'auberge où nous nous sustentions, je m'en allais à observer les clients.
Un en particulier attira mon attention, sans doute à cause de l'attitude manifestement hostile que lui adressait le maître des lieux. Il avait beau essayé de l'amadouer en sortant deux grosses pièces en or de sa bourse de cuir, on lui fit bien comprendre qu'il n'était pas le bienvenue, sans doute à cause de son métier : c'était un colporteur, tout ce qu'il y a de plus typique, l’archétype même du bonimenteur qui passe de village en village à savoir un être sec, au visage creusé par la fatigue et à la pilosité aléatoire, au dos un peu tordu à force de tirer sa lourde charrette à bras et qui pourtant donnait au monde extérieure la remarquable désinvolture de l’homme souriant à qui l’on servirait volontiers un coup à boire et achèterait volontiers sa camelote, moins pour les objets en eux-mêmes que pour l’entendre raconter des histoires sans aucun doute extraordinaires.
Désirant passer le temps, je m'approchai de lui dans l'espoir d'entendre des nouvelles de la région. Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir quand il déclina son identité un des hommes les plus célèbre d'Auditore et ancien ami de mon père, l'ancienne armateur désormais déchu Torich Gesuald, exilé suite à d'obscurs ennuis de cour. Le revers de fortune était pour le moins conséquents.
YoMa Caillasseur professionnel de Piaf cramé assassin de langue française
Messages : 140 Date d'inscription : 11/08/2018 Localisation : Pays de Candy Humeur : Toujours mauvaise
Sujet: Re: La Joie du Brunch Dominical [-18] Lun 2 Sep 2019 - 18:50
Flop' n'étant pas dans le coin, je vais être la mauvaise ^^
Pour ce qui est du contenu, pour être brève : j'attends la suite. Tu as un talent certain pour dépeindre tes personnages, j'ai notamment adoré le colporteur.
Pour la forme, il y a plusieurs moments où certaines formulations peuvent sonner "répétitives", typiquement ton "typique, l’archétype", mais pour le reste c'est fluide, ça se lit bien.
Bref, la suite !
K Emmerdeur officiel
Messages : 440 Date d'inscription : 13/11/2017
Sujet: Re: La Joie du Brunch Dominical [-18] Lun 2 Sep 2019 - 21:37
Merci beaucoup YoMa pour ton commentaire et la correction. J'ai mis du temps à relancer mes projets, mais je vais essayer d'écrire un peu plus dans les prochaines semaines.
Tifani Commentatrice détaillée et pro du CC
Messages : 297 Date d'inscription : 20/05/2015 Localisation : En cours Humeur : Toujours optimiste
Sujet: Re: La Joie du Brunch Dominical [-18] Lun 9 Sep 2019 - 11:37
Bonjour K, j'ai commencé à lire ton écrit, et comme les chapitres sont assez courts, je me suis dit que tant qu'à faire, je pouvais bien faire un commentaire "détaillé" ! Alors voilà, mes commentaires de lecteur dissident :
1. Caterina:
Lorsqu'un marin arrivait dans le port d'Auditore, il devait tout d'abord traverser une longue jetée, dont la présence de nombreuses épouses lui avait donné le sobriquet de Criée, mot cruel sans doute trouvé dans une taverne un soir de beuverie, par un voyageur assez hypocrite pour ne pas se rendre compte que sa femme l'attendrait avec empressement lors de l'escale suivante, et que s'il ne revenait pas, elle le pleurerait au sanctuaire qui donnait vue sur la mer et où on veillait les âmes de ceux dont on n'avait pas retrouvé le corps Il m'a fallu relire quelques fois pour comprendre à quoi le "dont" se référait, j'ai buté dessus! Je pense que "dont la présence de" est peut-être un peu lourd, et a assez perturbé le fil de ma pensée pour me faire décrocher. Même si pour être honnête, j'ai eu du mal à me décider si Criée désignait la jetée, le port, ou plus excentrique (donc éliminé), le marin On peut aussi noter que cette première phrase est très longue, si tu penses pouvoir la découper, ça serait peut-être une entrée un peu plus douce?. Et si le loup de mer n'avait pas de coeur qui l'attendait, il pouvait toujours se consoler auprès d'une fille de joie dans une de ces sordides auberges signalées par une lucarne rouge. Ainsi même dans leur vie solitaire, les marins étaient toujours entourés par les femmes.
Mais que celles-ci soient compagnes, prostituées ou veuves, leur rôle reste particulièrement ingrat. Ce n'est pas pour rien que les mères refusent que leurs chers enfants s'approchent de ceux qui sont déjà mariés à la mer. Et pour cela, elles ont un allié de poids dans l'austère couvent des Sœurs Servantes, que tant de jeunes prétendants ont voulu franchir malgré la présence des cruelles gardiennes. C'est peut-être mon côté féministe qui parle, mais j'aime bien ce tableau que tu nous peins jusque là, les hommes puis les femmes et leur relation à la mer
Pourtant, mon intention n'était pas d'intenter à l'intégrité morale des pensionnaires quand je pénétrai pour la première fois dans leur imposante bibliothèque, mais d'abreuver ma soif de connaissances en recherchant un ouvrage fort rare. Profitant de l’ouverture aux érudits le matin – et de la réputation philanthropique de ma famille qui me permettait aisément de dépasser les horaires - je restais à étudier les récits de voyage et recueils de contes, qui circulaient à l’époque au gré du passage des colporteurs.
Quand j’ai croisé pour la première fois le regard de Caterina di Firenze, j'en suis resté muet d'admiration et n’ai pas su lui répondre quand elle m’a demandé de chercher le Pentamerone, évitant ainsi que l’escalade de la haute échelle ne dévoile ses chevilles devant un inconnu. Elle avait les yeux d’un bleu-gris clair, très expressifs, et le teint pâle qui contrastait avantageusement avec les beautés brûlées par le soleil que l’on voit sur le port. Souvent délavés par les larmes qu’impose la rigueur religieuse, ils pourraient nous guider aux paradis si leurs regards n’invitaient pas à des activités moins pieuses. Ah, je savais bien que "la première fois" du paragraphe précédent n'était pas innocent...
Mais c'est surtout l'amour des lettres qui nous a rapprochés, et j'en suis rapidement arrivé à lui prêter clandestinement certaines de mes lectures. S'ensuivi S'ensuivit ? une longue romance qui dura tout l'hiver, faites de feuillets glissés entre les pages et de sourires échangés. Tout aurait pu en rester là si nous n'avions pas été découvert. Oh, ça ne présage rien de bon tout ça, une terrible chute
2. Mon Père:
La nouvelle route australe avait fait exploser le commerce des épices. Il y a quelque chose qui me dérange avec cette phrase, mais je n'arrive pas à mettre le doigt dessus... Ca m'a l'air correct, mais "faire exploser le commerce des épices"...? Je comprends le sens, mais la formulation me dérange. Chaque jour, on voyait l’arrivée de nombreux chariots remplis de coriandre, curcuma, poivre et surtout la précieuse cannelle, dont l’ajout avait permis aux cuisiniers de remplacer avantageusement le miel et de se faire facilement financer par une élite nobiliaire avide de nouveauté. J'adore cette description! L’année dernière, le jeune prodige Ettezze avait été embauché par le Seigneur Aldereste, quittant son obscure auberge pour rejoindre le plus somptueux palais de la Côte de Marbre. Le contrat qu’il avait signé avec la maison familiale pour récupérer des matières premières, explique en partie l’augmentation insolente de notre fortune.
En traversant le chantier qu'était devenu notre hôtel particulier, je m'attendais presque à voir mon père examiner ses comptes dans une salle à ciel ouvert. Mais comme j'aurais pu m'en douter, aucun ouvrier n'avait été assez fou pour toucher à la salle où étaient enfermés les documents sur lesquels reposaient notre famille. J'ai du mal à comprendre cette phrase... Quels documents, ceux des comptes? Et quelle salle? Ca donne l'impression de ne pas avoir l'information, la référence pour comprendre! Il était dit que la pièce sombre resterait jusqu'à la fin des temps le coeur de la bâtisse, comme l'antre d'un monstre fantastique. Le visage de mon géniteur, en cet instant, faisant tout pour y ressembler. J'aime beaucoup la comparaison entre le père et le monstre, ça fait très mythologique, et ça nous donne une bonne première idée symbolique !
Lorsqu'il me vit entrer, il ne m'accueillit pas. Habitué à ce genre de comportement, je m'installai sur une des deux chaises fort inconfortable qui se trouvaient en face de sa table de travail, une spécificité qu'il utilisait avec un certain talent pour mener à bien des négociations. Essayez de négocier une augmentation de salaire quand au bout de dix minutes, votre dos vous fait mal ! C'est drôle, mais cette phrase fait tellement moderne que j'en ai presque oublier le contexte, plus ancien de ce que j'ai pu comprendre ! Autant dire que le voir continuer sa tâche en cours était une frustration qu'il utilisait pour me signifier son mécontentement.
Après une éternité, qui n'avait dû sans doute ne durer qu'une demi-heure en dehors de cette pièce, il termina son mémoire et sortit une lettre qu'il relut avec application. Je frémis en voyant le cachet du couvent des Soeurs Servantes. Enfin, il reposa la missive, joignit les mains et me regarda fixement :
"Fils, votre travail au sein de notre compagnie est excellent."
Je ne sus que répondre, n'ayant pas prévu cette éventualité. S'attendant à une réponse, ou prenant plaisir à installer un instant de malaise, il fit tout pour ne pas casser ce silence, du moins pendant une bonne minute. Voyant que j'étais toujours muet, il continua :
"Vous m'avez toujours demandé de plus vous associer à mes affaires. Et comme je ne suis pas un ingrat, et que vous avez fait vos preuves, je vous offre le poste de second."
J'allais le remercier quand il ajouta : "En ce sens, votre première mission sera de partir vérifier la tenue de nos comptoirs en Nekhou, un voyage qui ne vous prendra que six courts mois." Et pour la première fois depuis le début de l'entretien, je le vis sourire. Surtout quand il ajouta : "le prochain convoi part cet après-midi, je crains que ce ne soit trop court pour que vous puissiez dire au-revoir à votre bien-aimée." On le sentait venir, mais le fait qu'il s'agisse de la dernière phrase et donc de la chute... parfait
3. Le Camelot:
J'aimerais vous parler d'un voyage enrichissant, de paysages idylliques et des habitants singuliers qui peuplent le Devisement du Monde. Mais l'âpreté d'un voyage pluvieux, traversant la lande balayée par le vent, ne m'ont apporté aucune des merveilles que l'on se doit de vivre dans de pareilles expéditions, et il me désole de me voir dans l'obligation de vous délivrer pareille complainte. Hélas, si le monde n'est même plus capable de se confronter au réel, je ne lui donne pas longtemps à exister. Dommage, parce qu'avec un aussi beau vocabulaire, on en aurait eu plein les yeux ! ... c'est une façon détournée de dire que j'adore tes deux premières phrases
Mes compagnons de voyage, marchands aguerris pour la plupart, ne partageaient pas vraiment ce point de vue. Du reste, ils passaient le temps où ils ne parlaient pas de leurs affaires à profiter de mon inexpérience pour m'endurcir. Ainsi, je ne mangeais chaud qu'un jour sur deux et étais le plus propre du groupe, vu que je finissais à l'eau à chaque fois que nous suivions le cours d'une rivière. Seules quelques dames de haute compagnie, venues effectuer un pèlerinage vers les Temples du Toit du Monde, m'ont témoigné un peu de compassion. Hélas, notre séparation prochaine me faisait craindre un redoublement d'agressivité de la part de mes bourreaux.
C'est pour ça que j'avais le vague à l'âme Joli ! en arrivant au bourg fortifié de Daggenhorn, alors même que mes compagnons exultaient à l'idée de prendre un bain. Il faut avoir dormi dans un marécage pour comprendre cet enthousiasme. Laissant leurs manifestations de joie grossière emplir la salle commune de l'auberge où nous nous sustentions, je m'en allais à observer les clients.
Un en particulier attira mon attention, sans doute à cause de l'attitude manifestement hostile que lui adressait le maître des lieux. Il avait beau essayer de l'amadouer en sortant deux grosses pièces en or de sa bourse de cuir, on lui fit bien comprendre qu'il n'était pas le bienvenu, sans doute à cause de son métier : c'était un colporteur, tout ce qu'il y a de plus typique, l’archétype même du bonimenteur qui passe de village en village, à savoir un être sec, au visage creusé par la fatigue et à la pilosité aléatoire, au dos un peu tordu à force de tirer sa lourde charrette à bras et qui pourtant donnait au monde extérieur la remarquable désinvolture de l’homme souriant à qui l’on servirait volontiers un coup à boire et achèterait volontiers sa camelote, moins pour les objets en eux-mêmes que pour l’entendre raconter des histoires sans aucun doute extraordinaires. Jolie description, un personnage visiblement attachant !
Désirant passer le temps, je m'approchai de lui dans l'espoir d'entendre des nouvelles de la région. Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir, quand il déclina son identité, un des hommes les plus célèbres d'Auditore et ancien ami de mon père, l'ancien armateur, désormais déchu, Torich Gesuald, exilé suite à d'obscurs ennuis de cour. Le revers de fortune était pour le moins conséquent. Oh non, cette chute là est cruelle, on voulait en savoir plus !
Je n'ai pas grand chose à ajouter si ce n'est que comme toujours, c'est difficile de trouver des points à soulever et de ne pas se faire happer par l'histoire lors de la lecture ! Tes personnages sont bien décrits, les descriptions, les parallèles et symboliques sont toujours magnifiques, et le seul regret c'est qu'on en ait si peu ! Tes chapitres sont courts, et on a envie d'en savoir plus sur ces personnages, et d'autant plus sur le dernier, le colporteur, qui a l'air très prometteur !
Je repasserai lire la suite avec plaisir !
K Emmerdeur officiel
Messages : 440 Date d'inscription : 13/11/2017
Sujet: Re: La Joie du Brunch Dominical [-18] Jeu 17 Oct 2019 - 18:19
4. Gamineries
Son histoire commence trente ans plus tôt, dans le port d'Isenchell. Le soleil dardait ses rayons sur les étalages des pêcheurs, embaumant le quartier d'une odeur marine très prononcée. Quelques dames, le visage masqué par un châle, regardait nonchalamment les dernières marchandises. Malgré leurs belles toilettes, elles ne faisaient pas partie de la haute société de la ville : celles qui pouvaient entretenir une gouvernante les avaient déjà envoyées bien plus tôt s'occuper des emplettes. Les belles arrivaient plus tard pour ne pas se mêler avec les employées, et par une jolie ironie du sort subissait une situation bien plus incommodante.
Cela faisait bien rire les gamins de la ville, trainant comme à leurs habitudes autour de tout ce qui était sale comme les matelots autour d'un bordel - on a l'obsession de son âge. En effet quand on a huit ans et qu'on a oeuvré toute la matinée à transporter les caisses des navires pour un salaire de misère, quoi de plus amusant que de jeter un caillou dans une flaque de boue, avec pour objectif avouer d'éclabousser les coquettes. Cela ne nourrit pas pas son homme mais ça fait passer le temps.
Torich observait alors la scène sur une bitte d'amarrage, les yeux à demi fermés. Les cales de la Sirène étaient pleines - et le capitaine payait mal. C'est donc à jeun qu'il était sur le point de s'assoupir, quand on lui tapota l'épaule. Il se tourna méfiant vers un homme en noir, vêtu sobrement d'un long manteau, d'un chapeau et d'un loup pour masquer son visage. À cette heure de la journée, c'était plutôt incongru. Mais la méfiance du gamin se volatilisa quand l'étranger lui tendit une pièce d'argent et lui déclara : "le seigneur Aldereste t'en donnera deux autres si tu lui transmets ce message dans l'heure".
L'appât du gain fit voler le messager vers le palais seigneurial, situé au sommet de la ville. Pour cela, il fallait slalomer entre les passants, enjamber les chariots et connaître les passages au travers des ruelles - des compétences que se svantait de maîtriser Torich. Rapidement, il arriva devant les masses austères de l'ancienne bâtisse. Pendant un moment, le minot se demanda comment il allait rentrer quand une voiture s'arrêta devant la porte principale. L'enfant eut la présence d'esprit de récupérer deux valises, devant un garde qui ne broncha pas.
La chance continua à lui sourire. Dans la colonnade qui menait aux appartements, il croisa un homme accompagné de sa suite, qu'il identifia rapidement comme le seigneur : tout le monde lui faisait la courbette. L'homme le plus proche de lui, d'ailleurs, était quasiment en train de se prosterner quand il sortit une lame de sa manche.
On ne sut pas directement pourquoi Torich s'était élancé. Plus tard il déclarera : "C'était trop bête ! Si le Seigneur était touché, qui m'aurait payé mes deux pièces ?"
K Emmerdeur officiel
Messages : 440 Date d'inscription : 13/11/2017
Sujet: Re: La Joie du Brunch Dominical [-18] Jeu 17 Oct 2019 - 18:21
Vraiment merci pour ton commentaire Tifani ^^ Je suis ravi que ça te plaise
Spangle
Messages : 281 Date d'inscription : 30/03/2020 Localisation : Bzak
Sujet: Re: La Joie du Brunch Dominical [-18] Dim 31 Mai 2020 - 2:54
De belles histoires, qui se connectent peu à peu comme les pièces d'un puzzle. Puisque tu as déjà reçu des commentaires sur les trois premiers fragments, je m'en vais commenter le quatrième.
Tu prends le temps de dresser un tableau très réussi du décor, et même si le gamin le quitte ensuite rapidement, ça donne au texte un ancrage très réaliste. Ensuite l'action se déroule en peu de mots, avec une grande précision : c'est clair, les décors sont esquissés rapidement mais bien présents et les personnages sont également faciles à visualiser.
Je ne vois rien à critiquer dans ce texte, à part deux détails de peu d'importance : - l'utilisation du mot bâtisse pour qualifier un palais. Selon moi ce mot correspond à une maison beaucoup plus modeste, voire un peu délabrée. Je te suggère de le remplacer par "édifice". - "il croisa" : étant messager, il ne peut logiquement pas s'approcher du seigneur sans interagir avec lui ; je me suis donc représenté le gamin comme l'apercevant de loin et se dirigeant vers lui.
Ah si, encore une chose : le titre correspond sans doute à des éléments non encore développés de l'histoire, mais franchement "brunch" ça ne colle pas du tout avec l'ambiance, c'est un terme qui fait beaucoup plus moderne.
J'attends la suite avec impatience !
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Sujet: Re: La Joie du Brunch Dominical [-18]
La Joie du Brunch Dominical [-18]
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