Encre Nocturne
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 La marelle

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AuteurMessage
Pryd




Verseau Messages : 31
Date d'inscription : 14/05/2020

La marelle Empty
MessageSujet: La marelle   La marelle EmptyJeu 4 Juin 2020 - 17:00

Au milieu du couloir sombre (comme tout couloir digne de ce nom se doit de l'être dans un récit, et ce d'autant plus si il sert de lieu d'introduction) se trouvait un tapis. Pas bien grand, ni large, mais épais et solide. Le fabricant avait reproduis dessus un jeu de marelle façon dessin d'enfant effectué à la craie sur le bitume : fond gris, bords maladroits et incertains en blanc, chiffres en rouge.
Et le tapis était là, au milieu du couloir, le dominant comme si à lui seul il pouvait donner à ce lieu de passage, à cet ersatz de pièce un autre rôle, celui d'une pièce d’importance, d'un cabinet de ministre… le cabinet du ministre de la jeunesse et des sports, des jeux & récréations... A cette heure sans vie, à cette heure ou tout, à défaut d'être rangé, est déblayé sur les côtés, il semblait en effet presque tenir ce rôle : un bureau à lui tout seul. Et, de par et d'autre sur des tables et des étagères, traînaient les dossiers annexes : dossiers de poupées chauves et de poupées neuves, héros de l’espace manchots en litige contre des cow-boy fringants, de vieilles DS accidentées sur 3 roues à recycler et des lots entiers de petites citadines à refourguer, pièces de lego abandonnées par groupes de 4 ou 5, comme des petites communautés de réfugiés cherchant chacune à construire quelque chose avec ses faibles moyens et ne pouvant y parvenir, loin qu'elles sont de leur mère patrie "rangée" si loin, là-bas, tout en haut de l'étagère mauve, ensevelie sous une pile de livres de coloriages emplis d’œuvres stylistiques s’adressant à un public averti et connaisseur qui eussent pu être de fines interprétations de l’influence de Picasso sur les tagueurs de rues, quand en fait l’artiste avait tout simplement une admiration sincère de Bruegel l’ancien dont il avait pu voir deux œuvres dans un livre d'histoire à l'école.
Ignorant ce "joyau-merdier", le pas sûr et confiant mais cependant lent arriva, faisant sonner sur le carrelage les claquements des talons avec la certitude absolue que ceux-ci résonneraient à l’infini à travers l’espace. Les talons virent le tapis. Aimablement, avec une courtoisie de gentleman naïf ignorant presque la misogynie de ses actes, en ralentissant encore leurs claquements sonores et faussement dominateurs, ils cédèrent la maîtrise du pas aux orteils. A leur tour, les dis orteils virent le tapis. Fauves, ils se ramassèrent sur eux-mêmes, guettèrent la proie et alors qu’ils eurent la conviction que celle-ci était à leur merci, à leur tour dominateurs mais surtout primesautiers, s’élancèrent vers elle avec énergie et confiance : elle ne pouvait en aucun cas leur échapper. Accélération progressive mais rapide, sauts de plus en plus hauts, bientôt les derniers centimètres auront étés avalés sous le caoutchouc des semelles et la chaussure gauche, profitant avec une stratégie toute martiale de l’impulsion du pied droit, se poserait triomphalement sur le tapis gris, triste et inerte proie…
Mais où ?
Où le pied doit-il se poser ?

Les jambes s’arrêtèrent net en un cafouillage incertain, même du point de vue bordélique du cafouillage.
Je ne sais pas jouer à la marelle.

La conviction du couloir s’effondra subitement en un obscur gouffre mental, la réalité des rails en plastique (qui on ne sait pourquoi étaient marrons) d’un train depuis longtemps déraillé fut aspirée dans le trou noir en même temps que dix-huit cubes alphabétiques colorés qui interpellèrent très brièvement, fugitivement la conscience avec une de ces pensées qui ne fait que passer sans s'arrêter et sur laquelle jamais l'esprit ne reviendra pour mener à son terme la réflexion qu'engendre une telle interrogation (en l'occurrence : "putain, mais ça existe vraiment ça ?"). Et, sur les rails, glissèrent toutes ensembles les étagères mal rangées dans ce trou unique qui semblait mener tout droit dans le moi, le surmoi ainsi que leurs dépendances connues, mais qui en fait ne menait nulle part puisque - il faut bien l’avouer - , à ce moment absolument rien ne bougea dans le couloir et que, de plus, les architectures mentales étaient plongées dans la question métaphysique du millénaire.
Putain, mais pourquoi je sais pas jouer à la marelle ? Tout le monde a appris à jouer à la marelle !

Fontaine blanche cradasse des souvenirs d’enfance qui jaillissent pêle-mêle à la plus haute surface de l’esprit, engonçant celui-ci dans un bunker de cours de récréations envahies par des créatures de l'enfer d'un mètre vingt en moyenne, et de goûters d’anniversaires foireux. Bien connu ce bunker, c’est bon, tout va bien on a l’habitude. Y’a deux sorties : une devant mais faut déplacer le merdier pour se dégager un accès vers la métaphore de porte, et une derrière, là où on sort en catimini du bunker et ou on fait semblant de pas l’avoir vu, de pas avoir été pendant un instant enseveli sous la couche de souvenirs désagréables du jamais assez lointain passé.
Bon, y’a que ça a foutre, y’a le temps, et même si je la connais, je veux chercher la réponse à la question « pourquoi je sais pas jouer à la marelle ? ». Contemplation masochiste et narcissique d’un moi que j’eusse préféré ne pas être et que je proclame cependant, car sans ce « fus », je ne serais pas ce « je » que je revendique à plein cœur… je crois ? Possible que ce soit à pleine haine, mais c'est presque une autre question, une seule introspection à la fois...

Et il plongea tête baissée dans la cacophonie visuelle et émotionnelle de la mémoire. La suite des réflexions est sans intérêt aucun. A peine sont-elles des réflexions, d’ailleurs, tout au plus des juxtapositions de mauvais souvenirs d’enfance tels que tout le monde en a, que l’on sache ou non jouer à la marelle, et qui, n'en déplaise à toute une cohorte d'écrivains autobiographes, ne sont susceptibles d'intéresser que des adeptes du voyeurisme bien pensant enrobé d'une belle couche d'addiction à l'analyse psychanalytique de comptoir. Par respect pour le lecteur, je ne m'étendrais donc pas davantage sur le sujet.
***
Le voici donc, déambulant dans son couloir, le pied à nouveau faussement sûr, le pas accéléré, et la tête pleine de questions et de souvenirs dont nous lui sommes gré de nous faire grâce. Son service est terminé, l’équipe de jour lui a lâché distraitement un "bonjour" tout en se servant avidement un café, puis a pris le relais en lisant son rapport nocturne qui semble bien plus les intéresser que tout ce qu’il aurait pu leur dire de vive voix. Point de pitié pour lui : la chose est voulue, son effacement calculé, et le désintéressement de ses collègues nécessaire. On pourrait s’étendre sur la facilité avec laquelle il est parvenu à ce résultat et ce que cela implique au niveau humain, mais vu la trame de fond, ce serait douteux. Le lecteur est donc prié de ne pas se faire d’idées là-dessus.
***
Voilà la porte blindée qu’il a passé la nuit à verrouiller méthodiquement derrière lui à chacune de ses rondes. Il la pousse cette fois négligemment du bout du pied et sors, passant de la pénible luminosité halogène du hall à la douce pénombre du jour naissant. Un appui sur un bouton, et voilà que les portes s’ouvrent, il quitte sa veste et s’assied à la place du conducteur.
Il regarda le demi-soleil à travers la vitre teintée de la voiture, et il entendit clairement celui-ci lui dire « c’est vrai, je ne réveille plus les hommes, ma fonction est d’éclairer la Terre selon sa rotation, et les gens persistent malgré leurs connaissance à dire que je me lève et que je me couche, comme si je travaillais pour eux, comme si ils étaient le centre du monde. Leurs considérations sur ce que je suis sont réductrices, et je m’en moque, sais-tu pourquoi ? Parce que si ils persistent à dire que c’est moi qui me lève, et pas leur terre qui tourne, parce que si ils m’ont remplacé par des réveils et des lampes à néon, il n’empêche qu’à l’aube ou au crépuscule, je ne suis pas une boule de feu à leur service. Non, à ces moments-là, je suis le Soleil qui teinte l’eau et les nuages, je suis en un bref instant de contemplation l’annonce de la peur de la nuit, l’annonce des promesses du jour. Sache que je ne regarde pas l’humanité en face, elle est décevante aussi bien le jour que la nuit, mais les deux extrémités du monde, celle que je commence à éclairer et celle que bientôt je n’illuminerais plus, toujours présentes et toujours changeantes, celles-ci me contemplent constamment en me montrant l’émerveillement et la sérénité que peuvent avoir les hommes. »

C’est serein, qu’à ces mots, il baissa la vitre pour contempler le Soleil.
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